JDM : Commandant, les autres territoires ultramarins souffrent-ils des mêmes problématiques qu’à Mayotte, qu’il s’agisse de violences inter-villageoises, de délinquance juvénile, d’une parentalité défaillante ?
Jean-Marc Descoux : Tous les outre-mer ont des caractéristiques particulières. Et à l’intérieur de chaque outremer, on a des situations qui peuvent être extrêmement différentes. Quand on est en Guadeloupe, selon qu’on se trouve en zone périurbaine ou sur l’une des îles, on voit bien qu’on a une situation et des attentes de sécurité qui ne sont pas les mêmes. Qu’en réalité, on ne peut pas parler d’une typologie de la délinquance outremer ou des problématiques de l’outremer : elles sont aussi différentes que chacun des outremers.
JDM : Et face à ces disparités, comment fonctionne la gendarmerie en tenant compte des particularités du 101ème département ?
J.M.D : La gendarmerie s’adapte à l’environnement dans lequel elle évolue, dans lequel elle doit faire de la sécurité. Quelles sont les problématiques aujourd’hui ? Elles sont connues. On nous attend sur 4 sujets. D’abord, une réponse de sécurité publique rapide et permanente. Dès lorsqu’il se passe un trouble à l’ordre public, dès lors qu’une personne est victime d’un fait délictuel, et que la gendarmerie est appelée, on nous attend sur notre capacité à répondre rapidement, et à faire cesser l’infraction, identifier les auteurs et les amener devant la justice.
C’est mon premier métier. Mon deuxième métier, c’est d’assurer la paix publique. Dès lors qu’il y a trouble à l’ordre public, et par trouble à l’ordre public on parle de conflit de voisinage, du petit conflit de droit public jusqu’à des affrontements tels qu’on a pu les connaitre ici entre certains quartiers. Là on met un dispositif qui très classiquement s’appuie d’abord sur la brigade territoriale, puis on vient se renforcer très vite avec des unités d’appui, le peloton de surveillance et d’intervention par exemple, puis les pelotons de gendarmerie mobile, et le cas échéant l’antenne GIGN avec engagement de l’hélicoptère On adapte la réponse à la situation à laquelle on est confrontée.
Le troisième, on nous attend sur la lutte contre l’immigration irrégulière. On met en place des dispositifs, on s’intègre dans des dispositifs avec d’autres partenaires. La police aux frontières, les forces armées dans lesquelles la gendarmerie est un acteur important, à la fois en mer et sur terre.
Ensuite on nous attend sur notre participation à des politiques publiques d’accompagnement de la population, dans des démarches, comme par exemple la prévention des violences intra familiales. (…) On a tout un dispositif à Mayotte comme dans les autre outre-mer d’ailleurs, qui permet de répondre en réalité aux problématiques locales.
JDM : Est-ce difficile de faire venir des gendarmes en mission sur le sol du 101ème département ?
J.M.D : Tous les gendarmes qui sont en outre-mer, sont volontaires pour l’outre-mer sur lequel ils se trouvent. Pour d’évidentes raisons, je ne peux pas forcer un gendarme à servir dans un environnement qui peut être atypique ou singulier : si je vais chercher un gendarme à Mayotte et que je décide unilatéralement de l’affecter dans la forêt amazonienne, dans l’absolu il est militaire il est susceptible de le faire. En réalité le gendarme a aussi sa famille, sa femme, ses enfants, et il faut que l’affectation corresponde aussi à un choix familial.
Le positionnement d’un gendarme en outremer c’est d’abord l’analyse d’un besoin , j’ai besoin de quel grade, quels capacités, et l’analyse d’une ressource.
Globalement tous les ans, j’ai quasiment 2000 gendarmes qui demandent à partir en outremer. Ça satisfait largement aux besoins de relève.
(Ndlr à Mayotte ) Aujourd’hui on a un dispositif affecté d’environ 300 gendarmes et un dispositif déplacé, tous les trois mois, qui fait monter le dispositif global autour de 500.
JDM : Face aux nombreux débordements des semaines passés, certains évoquent un échec des forces de l’ordre à perpétuer le maintien de la paix sur le territoire. Que leur répondriez-vous ?
J.M.D : D’abord, ce ne sont les gendarmes qui provoquent les affrontements entre personnes, entre communautés. Le gendarme lui c’est un régulateur, il n’est pas à l’initiative du trouble à l’ordre public. Malheureusement moi j’observe que partout dans le monde, la nature humaine fait que les gens ne règlent pas forcément leurs conflits par le dialogue. Et que dans un certain nombre de cas, ils les règlent par de la compensation. Le dialogue tel que tout le monde l’espère, n’est pas partagé partout. Mayotte ne fait pas exception. Lorsque j’ai des émeutes aux Antilles, lorsque j’ai des émeutes en Guyane, lorsque j’ai des émeutes à La Réunion…Il faut des gendarmes ou des policiers pour faire cesser les infractions, maintenir l’ordre, et traduire ceux qui commettent pendant ces affrontements des infractions pénales, les amener devant la justice.
Donc Mayotte de ce point de vue-là, ce n’est pas quelque chose d’exceptionnel. Donc je ne me sens pas en échec. Je me sentirais en échec si je ne le traitais pas. A partir du moment où les faits sont déclenchés, le commandement de la gendarmerie de Mayotte déclenche immédiatement des moyens importants pour mettre un terme à ces affrontements et déférer les chefs devant la justice.
Je crois que c’est reconnu par tout le monde. On voit l’engagement de la gendarmerie, les moyens importants parfois avec des niveaux de coercition importants, c’est-à-dire une réponse ferme, avec des gens qui sont amenés devant des magistrats et qui ont des réponses pénales.
JDM : Pour les gendarmes qui souhaitent s’engager à Mayotte, en vue des particularités du territoire, y-a-t-il une formation/préparation particulière ?
J.M.D : Non, d’abord, aujourd’hui, un jeune gendarme quel que soit son grade, c’est quelqu’un qui est volontaire pour l’outremer, qui s’est intéressé à l’outre-mer. On ne fait pas une demande d’outre-mer sans savoir quelles sont les caractéristiques d’un environnement dans lequel on va travailler.
Ce sont des gens qui sont volontaires, qui font leurs démarches. Eux ils se renseignent sur l’environnement où ils vont travailler. Nous on leur rapporte un certain nombre d’informations sur le plan professionnel. (…) On a à la fois des gendarmes qui sont originaires de Mayotte et des gendarmes qui viennent de tous les horizons. Ça fait un amalgame et on a une appropriation assez rapide et complète de l’écosystème sur lequel ils sont affectés, et ça fonctionne plutôt pas mal.
JDM : L’une des réponses que l’on entend souvent sur le territoire face à la multiplication des troubles à l’ordre public, c’est la nécessité de faire venir plus de renforts, plus d’effectifs. Serait-ce là le moyen d’endiguer les vagues de violences régulières sur le département ?
J.M.D : Pas du tout. Bien sûr, plus on a d’éléments pour manœuvrer, mieux c’est. Mais aujourd’hui, Mayotte est certainement le département ou territoire de la république qui a bénéficié d’une montée en puissance, qui a bénéficié en réalité d’une adaptation du dispositif la plus rapide et la plus solide de l’ensemble du territoire nationale. (…) A Mayotte aujourd’hui, on a toutes les composantes de la gendarmerie. C’est-à-dire qu’on est capable en autonomie de traiter toutes les situations opérationnelles qui relèvent des missions de la gendarmerie.
Le dispositif à Mayotte continue à s’adapter. On va renforcer encore la capacité de police judiciaire, parce que le maintien de l’ordre c’est une chose, mais neutraliser les auteurs par des réponses judiciaires adaptées, de mon point de vue c’est ce qui permet d’avoir les meilleurs effets, donc on va renforcer notre capacité de police judiciaire.
JDM : Dans les temps à venir, qu’est-ce qui est prévu en termes d’augmentation des effectifs, de renforcement, de matériel… ?
J.M.D : Alors sur le matériel, on augmente le renouvellement du parc véhicule. On va changer une partie des véhicules tactiques, pour l’adapter aux conditions de travail à Mayotte.
On renouvelle les embarcations dédiées à la LIC. On a créé une compagnie qui est un échelon de commandement et de coordination, on l’a créée cette année, et cette année on va renforcer, on va créer certainement une brigade de recherche, une unité dédiée à la police judiciaire. On évolue et on fait bouger le dispositif, ça fait partie de l’adaptation de la gendarmerie à son environnement. (…)
Ce que je retiens c’est qu’aujourd’hui on a un dispositif robuste, solide, polyvalent, capable de s’adapter à des changements de posture de l’adversaire, passer d’une dominante ordre public à une dominante police judiciaire, de maintenir l’effort sur la LIC et est capable de manœuvrer par rapport à une situation qui évolue. Je retiens que les gendarmes que j’ai vus sont bien à Mayotte. Ils sont bien parce que leurs missions ont du sens. Et ils en voient les effets, des effets positifs. C’est plutôt là aussi un élément favorable pour moi. J’ai des gendarmes qui sont volontaires pour venir à Mayotte. Paradoxalement, je n’ai pas de problèmes de ressources. J’ai des gens qui disent « il y a de l’engagement, il y a des défis, c’est compliqué donc c’est bien.
JDM : Vous avez pu rencontrer les élus du territoire cette semaine, qu’est-il ressorti de ces réunions ?
J.M.D : On est un élément de la paix publique à Mayotte. On s’intègre dans une chaine extrêmement large qui va de la famille, aux quartier, l’école…. On est un élément. Cet élément est un élément important. J’ai rencontré beaucoup d’élus, qui me disent deux choses au nom de la population qu’ils représentent : ‘on attend beaucoup de vous. On attend que les gendarmes continuent à faire ce qu’ils font, soient des acteurs importants du contrôle des situations lorsqu’elles deviennent compliquées. Et comptez sur nous, on va travailler avec vous pour que l’ensemble du dispositif se coordonne peut-être mieux et apporte une meilleure réponse.’ Le dialogue avec les élus est excellent. Et donc on met en place des dispositifs, qui doivent permettre ces échanges, cette fluidité là encore, des réponses à des situations concrètes, et ne pas rester dans des considérations mal comprises par la population. En clair, on veut que les élus sachent ce qu’il se passe sur leur circonscription, et on veut qu’eux nous aident aussi à mieux appréhender les attentes de leur population. »
JDM : Et face à toutes ces problématiques, le soutien du gouvernement se fait ressentir ?
J.M.D : Bien sûr (…) Mayotte est un élément important de la République.
Propos recueillis par Mathieu Janvier
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