L’appellation « arts visuels » est assez intuitive pour comprendre qu’ils regroupent tous les arts perçus par l’œil, par opposition par exemple au domaine musical. Leur champ d’application est donc assez vaste mais l’évolution des techniques, notamment avec le numérique, depuis 30 ans que ces arts existent est assez importante pour que le ministère de la Culture s’en émeuve. Et demande que dans chaque région les Directions Régionales des Affaires culturelles (DRAC, DAC à Mayotte) accompagnent la mise en place de Schémas d’orientation des arts visuels (SODAVI).
Leur objectif est de travailler en coordination avec l’ensemble des artistes et artisans pour évaluer l’état des lieux de ces professions éclectiques et de proposer des actions. Mais à Mayotte c’est un peu différent, tout est encore à faire et le SODEVI est surtout vu comme un outil précieux pour créer un lien entre les artistes dans un premier temps, pour professionnaliser ensuite, « ce schéma doit fédérer le plus d’artistes possible pour mutualiser les moyens », expliquera Eric Bellais. Avec sa femme Viviane et la DAC de Mayotte, il est à l’origine de la création du SODAVI.
Et la liste de ces arts visuels semble infinie, comme il le rapporte : « Il y a un vrai savoir faire ici, BD, graffitis, photos, plasticiens, joaillerie, jardin, web design, mosaïques, jeux vidéo… Nous allons dans un premier temps recenser tous les artistes, en sachant que d’autres sont à venir, nous allons créer des vocations. Il faut arriver à faire en sorte que ces arts soient une source de revenus. »
En l’écoutant, on perçoit que l’objectif national du SODAVI qui est de coller au contexte, est l’outil idéal ici : « L’objectif est de faire de l’artisanat mahorais à partir de l’âme mahoraise, et ne pas copier les autres », complète Eric Bellais.
« Le SODAVI, c’est une bonne vibe ! »
Et explique que, mutualiser les compétences, c’est aussi aider les artistes à obtenir des aides : « Le déficit de lieux de communication à Mayotte, laisse les artistes dans un certain isolement. C’est pourquoi nous avons reçu des fonds du FDS pour construire sur ce terrain d’Hajangua un village artisanal qui permettra de proposer une galerie d’arts de 200m2 pour que vous puissiez exposer et vendre. Mais le Schéma adopté aujourd’hui va permettre de vous épauler, vous les artistes, dans le montage des dossiers. Car la DAC ou le conseil départemental débloquent des subventions qui ne sont finalement pas utilisées ».
Tout ouïe, les artistes présents découvrent cet animal appelé SODAVI, « je le sens bien, c’est une bonne vibe, lâche Papajan, où on va ?, je ne sais pas, mais nous sommes tous chacun dans notre coin à essayer de sortir la tête de l’eau. Je l’ai toujours dit, la solution, c’est l’unité, et c’est urgent ».
Pour la DAC, c’est Gaëlle Metelus qui porte le projet, « je suis heureuse de le lancer aujourd’hui. Il fallait déjà rassembler tous les acteurs des arts visuels du territoire. » La mise en place du SODAVI se fait en présence de Béatrice Binoche, responsable du Fonds régional d’Art contemporain à La Réunion, et d’Annie Lachèvrefils-Desbiolles, en charge du Service de l’inspection de la création artistique au ministère de la Culture. Venue pour assister à la Commission d’aide individuelle d’aides aux artistes qui s’est tenue ce mercredi, elle se réjouissait de cette mise en place à Mayotte : « Toutes les régions doivent se doter de SODAVI, c’est en cours à La Réunion. Cela va permettre de coller plus précisément aux réalités locales. Et pour ça, les expériences des uns et des autres sont indispensables ».
Des milliards d’euros sur le marché africain
Et l’expérience va aussi parler par la voix de Faïza Saïd, fondatrice de la résidence MabaMaoré : « Je m’exprime sur la partie internationale, avec la plateforme africaine des arts mahorais. Une étude de l’AFD en 2017 sur les marchés africain et Moyen orient des arts africains les évaluait à 11 milliards d’euros de chiffre d’affaire, dont 3,5 milliards en informel. On parle notamment de la Biennale de Dakar, en plein boom depuis 6 ans, ou de la foire Art X Lagos au Nigeria. Et avec beaucoup de créations d’emplois à la clef. A Mayotte, nous sommes très bien situés. Mayotte française permet d’apporter son savoir faire et son africanité. » Et en matière d’évolution des technique, le Covid a mis en valeur la création par le biais du numérique, « c’est comme ça qu’un chanteur mahorais s’est exporté au Kenya ».
Selon elle, un gros travail reste à faire, « ces pays connaissent la République islamique des Comores, mais pas Mayotte. » L’atout de la langue est une nouvelle fois mise en avant, « le shimaore est une langue bantoue, comprise au Kenya et en Tanzanie, et dans une moindre mesure, au Nord du Mozambique ». Des concepts artisanaux typiques de l’île « comme le tressage du panier de Sada » sont inconnus de la plaque africaine et indonésienne, « qui sont prêts à acheter des produits locaux ».
Un discours qui trouve son écho parmi les artistes présents sur la trentaine que rassemble pour l’instant le SODAVI. Pour Baba Mbaye, qui travaille depuis 10 ans avec la DAC, « la démarche est intéressante, dans le sens où il faut rassembler tout le monde et aller au-delà de Mayotte. C’est ambitieux ».
Anne Perzo-Lafond
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