Voilà un rapport qui arrive à point nommé : quelques jours après la nomination du gouvernement et la désignation de Yaël Braun-Pivet aux outre-mer, qui élabore sa politique, et deux semaines avant le choix de nos députés destinataires de ce rapport.
C’est le président de la commission des finances du Sénat qui a demandé à la Cour des comptes en décembre 2020, d’enquêter sur les dépenses de l’Etat en outre-mer.
Sa conclusion révèle deux tendances : au cours des dernières années, l’État a accentué son effort budgétaire en faveur des outre-mer, mais les dépenses ne sont pas à la hauteur. Le développement d’un appui à l’ingénierie locale permettant de garantir la bonne exécution des crédits alloués est une énième fois avancé comme une des solutions. Evidemment, ce constat de sous exécution de dépenses est à nuancer en fonction des territoires.
Des territoires turbulents dont les soubresauts sociaux interpellent régulièrement Paris, mais pour lesquels la maxime « loin des yeux, loin du cœur », n’est plus tout à fait vrai. En réponse aux crises répétées sur les revendications sociales Outre-mer, dont les dernières en 2017 en Guyane et en 2018 à Mayotte et à La Réunion, l’Etat a accru ses efforts : « Depuis cinq ans, en poursuivant un objectif de convergence des territoires et départements ultramarins avec les départements métropolitains, l’État finance une part importante des investissements publics outre-mer. En 2021, le budget global destiné à soutenir les politiques publiques ultramarines s’est en effet élevé à 27,3 milliards d’euros, hors dépenses sociales, soit 11 % de plus qu’en 2020. Plus de la moitié de ces dépenses sont désormais des dépenses d’intervention qui font l’objet d’engagements contractuels de l’État et des collectivités territoriales concernées. »
Mayotte la mieux dotée, et la pire consommatrice
Mais malgré ces investissements importants, la Cour relève « d’évidentes inégalités » persistantes en matière de transports, d’infrastructures, d’assainissement, d’électricité, de télécommunications ou d’accès au logement social. Notamment pour la Guyane et Mayotte en raison de la « croissance démographique dynamique », ce qui a conduit l’État à « multiplier les plans de développement en faveur de ces territoires qui demeurent fragiles en raison de leur situation financière et de l’insuffisance de ressources humaines qualifiées ». Les « faibles capacités administratives ou techniques des collectivités appelées à réaliser les investissements financés par l’État », sont soulignées.
Alors que les efforts de l’Etat diminuaient aux Antilles, à Mayotte comme en Guyane, ils étaient accrus en 2020… pour reculer en 2021 de 6,8% chez nous, et en prévision de -4,9% pour 2022. Or, on rappelle dans ce rapport l’enquête de l’INSEE sur le taux de pauvreté national qui était en 2017 deux à quatre fois plus élevé dans les départements d’outre-mer historiques qu’en France métropolitaine, et cinq fois plus à Mayotte.
Sur la période 2019-2022, Mayotte est le territoire qui bénéficie du niveau de crédits contractualisés le plus élevé, avec plus de 1 milliard d’euros affecté… et le territoire qui affiche le taux d’exécution de son Contrat de convergence et de Transformation (CCT) le plus faible avec seulement 15 % des sommes effectivement engagées et concrétisées. Une douche froide après que la préfecture ait annoncé un engagement de 53% en décembre 2021. Une grosse partie n’a vraisemblablement pas été concrétisée, ou est en attente de l’être. C’est en Guyane que le taux d’engagement est le plus important, atteignant 48,3 % à mi-parcours des contrats, mais avec une faible concrétisation là aussi, 16,6 %.
Globalement, alors que les Contrats de convergence en étaient aux trois-quarts du calendrier de mise en œuvre, seuls 32% des objectifs étaient atteints et payés, « ce qui doit conduire à une réflexion sur l’appui en matière d’ingénierie », sur l’ensemble des outre-mer, et particulièrement à Mayotte. Donc, 4 ans après que les manifestants aient demandé une plateforme d’ingénierie ici, le même diagnostic est posé. Pourtant, sur les fonds européens, la solution a été trouvée.
Faire de Mayotte un accélérateur de carrières
Car il se pose pour le contrat de convergence de 1,6 milliard d’euros le même problème que pour les fonds européens : l’argent était là, mais il n’était pas dépensé. Le GIP L’Europe à Mayotte a été alors été mis sur pieds l’année dernière par la désormais SGAR Maxime Ahrweiller, dont Ali Soula a pris la direction et recruté des compétences. Comme un chasseur de têtes, le GIP pratique la chasse aux projets avec un accompagnement jusqu’à son aboutissement. Il aurait fallu dupliquer ce schéma pour le Contrat de convergence qui se termine le 31 décembre. De son côté, sur la construction des écoles par les communes, le rectorat de Mayotte avec l’AFD, a mis en place une autre plateforme, qui leur met à disposition des ingénieurs à la demande.
Que l’on choisisse l’une ou l’autre des boites à outil, elles sont déclinables sur tous les secteurs : les stades en prévision des Jeux des Iles, les équipements communaux, etc.
Un passage du rapport de la Cour des Comptes semble être hors sujet, en décalage avec la réalité, pour s’être arrêté au projet de plateforme d’ingénierie décidé par la ministre Girardin à la suite du mouvement de 2018, mais jamais installée. Par contre, un Établissement public de délégation de maitrise d’ouvrage était au menu du projet de loi Mayotte, jugé trop interventionniste par les élus, à redimensionner donc plutôt que de tout jeter. Car le temps presse et nous continuons à sous-consommer.
Se pose une nouvelle fois le problème des compétences. Pour le GIP Europe, elles ont été trouvées à des postes de décision, et il existe en Hexagone et ailleurs, des réussites mahoraises à attirer ici. Autre idée qu’un de nos contributeurs rappelait à notre bon souvenir : faire de Mayotte un accélérateur de carrière, non forcément pour les débutants dans la vie active, mais pour attirer les meilleurs, qui repartiraient dotés de bonus pour des mutations valorisantes ensuite.
Prolongation d’un an ?
Mais il est déjà trop tard pour notre milliard et demi de CCT, puisqu’il se termine le 31 décembre 2022… A moins qu’un délai supplémentaire puisse être obtenu. La Cour des Comptes souligne en effet un changement de stratégie en 2021 sur le suivi technique des contrats de convergence. Alors qu’elle était assurée par la DGOM auparavant, celle-ci en a laissé le soin aux services déconcentrés de l’Etat ensuite. « Or, aucune réunion de coordination et de pilotage des CCT n’a été organisée sur la période ». Un constat d’échec donc, doublé des échéances électorales perturbant le suivi, qui incite la DGOM a « envisager une prolongation des CCT actuels pour une durée d’au moins un an ». La Cour souligne néanmoins le rôle des collectivités, donc du conseil départemental pour Mayotte, qui « doivent engager les premières négociations avec l’Etat ».
Les élus doivent se retrousser les manches, et être force de proposition pour donner au territoire toutes les chances de réussir.
Anne Perzo-Lafond
La Cour des Comptes émet 10 recommandations
Sur l’exécution des dépenses de l’État outre-mer :
1. Assurer un suivi régulier des mesures contractualisées entre l’État et les collectivités, tant au niveau central que local (services de l’État, DRFiP, collectivités), par la mise en place d’outils préétablis de suivi, d’analyse et de communication (DGOM).
2. Conditionner, pour chaque contrat ou plan d’urgence passé entre l’État et les collectivités territoriales ultramarines, le versement de nouvelles subventions et de dotations ciblées au respect des engagements contractualisés par les collectivités (DGOM et DB).
3. Faciliter localement la gestion des crédits, en accroissant la fongibilité des crédits entre les différents budgets opérationnels de programme contributeurs aux contrats de convergence et de transformation (DB et DGFiP).
4. Généraliser les plateformes d’ingénierie dans les territoires ultramarins, en y consacrant les effectifs et les moyens nécessaires à leur bon fonctionnement, et améliorer la coordination des dispositifs d’ingénierie au profit de ces territoires en faisant de ces plateformes l’interlocuteur unique des collectivités (DGOM et DMAT).
5. Poursuivre la fiabilisation du chiffrage des principales dépenses fiscales relatives aux outre-mer (DLF, DGOM, DB, DG Trésor, DGFiP).
6. Borner, conformément à la loi, toutes les dépenses fiscales relatives aux outre-mer (DLF, DGOM, DB, DG Trésor, DGFiP).
7. Établir sans délai un programme pluriannuel exhaustif d’évaluation des dépenses fiscales en faveur des territoires d’outre-mer et proposer la suppression des dépenses fiscales inefficientes (DGOM, DLF, DB, DG Trésor, DGFiP).
8. Supprimer les dépenses fiscales inefficientes en faveur du logement, et abonder du montant correspondant les crédits de la ligne budgétaire unique (DGOM, DLF, DB, DG Trésor, DGFiP).
Sur l’information du Parlement sur les dépenses en faveur de l’outre-mer :
9. Recentrer le Document de Politique Transversale (DPT, qui couvre l’ensemble des ministères) sur les crédits destinés à favoriser la convergence des territoires d’outre-mer par rapport à ceux de métropole (DGOM, DB).
10. Rendre compte au Parlement du contrôle de cohérence effectué par le ministère des outre-mer sur les informations transmises par les responsables de programme budgétaire concernés par le DPT (DGOM, DB).
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