Halte à l’hybridation de la collectivité unique de Mayotte face à des particularismes institutionnalisés
La loi, seulement la loi et rien que la loi. Au terme des deux dernières législatures, Mayotte a certes connu d’indéniables avancées dans son développement socio-économique. Pour autant, la situation reste extrêmement préoccupante en particulier dans les domaines de la sécurité des biens et des personnes, de la santé et de l’accès aux soins des habitants, de la dégradation de l’environnement ainsi que la montée de la pauvreté.
Aussi, instaurer l’égalité républicaine à Mayotte constitue non seulement une exigence constitutionnelle, mais conditionne le développement économique, social environnemental du territoire puisque Mayotte dans le canal de Mozambique, c’est la France et l’Europe au plus près de la géostratégie qui se joue dans la zone.
De toutes les collectivités ultra-marines françaises, Mayotte est la seule à avoir su ou du singulariser sa démarche d’appartenance à la France, rattachée à elle depuis 1841. En effet, les différentes lois statutaires successives ont été précédées par des consultations populaires. La dernière en date est celle du 29 mars 2009 qui a vu 95,2 % des électeurs se prononcer en faveur du régime départemental. Et ce ne sont pas les ministres Darmanin et Lecornu qui pourraient le contredire. Dans une tribune commune publiée au journal Le Monde du 10 novembre 2021, ceux-ci témoignent : « Dimanche 29, à Dembéni, au coeur de Mayotte, une chorale d’enfants chante avec ferveur la Marseillaise, en français et en shimaoré. Davantage que ce que nous pouvons entendre parfois en métropole. Cette image marquante de notre déplacement dans le 101ème département de France est venue nous rappeler le profond attachement de ce territoire à la République. Oui aux Mahoraises et aux Mahorais, nous devons un engagement sans faille pour leur offrir la même promesse républicaine qu’ailleurs dans notre pays ».
La marche enclenchée en 1976 trouve enfin un aboutissement en 2011, date à laquelle Mayotte est devenue une collectivité unique appelée département et soumise au cadre départemental à savoir l’identité législative, conformément aux lois organiques n°2009-969 du 3 août 2009 relative à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et à la départementalisation de Mayotte et n°2010-1486 du 7 décembre 2010 relative au Département de Mayotte.
Malgré cela, ni l’avènement de la départementalisation obtenue en 2011, ni le processus de convergence vers le droit commun enclenché en 2001 suite à l’Accord du 27 janvier 2000 (katiba), n’ont permis de se conformer au principe constitutionnel de la décentralisation.
A Mayotte, c’est l’ensemble des domaines des politiques publiques qui sont entravés par des pratiques d’un autre temps découlant d’une inadéquation de moyens à la hauteur des besoins, mais également, d’une mauvaise répartition des compétences entre l’Etat, les collectivités territoriales et leurs structures déléguées. Cette confusion concentre plusieurs ruptures d’égalité, surtout en terme de financement, crée des distorsions dans l’accès aux droits des Mahorais et enfin ne permet pas le contrôle et l’évaluation de l’action de l’Etat et encore moins des collectivités locales. Ainsi, telle que la décentralisation est mise en œuvre localement, le dévoiement du partenariat réduit à néant les responsabilités électives.
Préalablement à la départementalisation et en application de la loi du 11 juillet 2001, est mis en œuvre, à partir de 2004, le principe du transfert de l’exécutif du préfet vers le président du Conseil général avec la partition des responsabilités.
Sur les voies de communication internes
Tracé il y a plus de 30 ans, le réseau routier mahorais fait cohabiter dangereusement aujourd’hui les automobilistes tous engins confondus, les piétons et les cyclistes à tout heure de la journée et de la nuit.
Les routes nationales (RN), au lieu de ceinturer tout le territoire de Mayotte, ignorent totalement l’extrême sud et l’ouest de Mayotte ; tout comme l’absence de continuité entre la RN4 à Dzaoudzi et les RN 1-2 à Mamoudzou. La traversée entre les deux îles étant laissée à la charge du Conseil départemental. Ce dernier se trouve donc héritier d’un réseau routier qualifié abusivement de routes départementales comme si les automobilistes avaient la latitude d’emprunter le réseau de leur choix. Les habitants du nord voulant se rendre au sud ont vécu amèrement les trois premières semaines de mai 2022 la fermeture de la RD1 entre M’Tsangamouji et Tsingoni en raison de la fissuration de la chaussée.
Quant au STM, depuis sa création en 1977, il reste noyé dans un fonctionnement en total décalage avec les règles de gestion de transport public en France.
Sur les services publics de base
Et au même moment, on continue à couper intempestivement l’eau et l’électricité à la population pour impayés, en ne laissant même pas l’équivalent d’un feu de bougie! Tout cela rien que pour préserver les intérêts capitalistiques des sociétés qui exploitent ces services publics, ô combien, vitaux pour tout un chacun. Ici, ce n’est pas l’entreprise nationale EDF qui intervient, mais la société d’économie mixte EDM créée en 1997. Faudrait-il nous consoler du fait que le Conseil départemental y soit actionnaire majoritaire à 50,01%? Certainement pas, car si le Département préside le Conseil de surveillance d’EDM, il est scandaleusement absent de la sphère décisionnelle qu’est le Directoire. Que dire alors du changement de capital intervenu en 2019, faisant de la SIM une société d’Etat appartenant à la SNI CDC HABITAT, au grand dam des responsables politiques qui pensent pouvoir continuer à influer sur les orientations de la société ?
Dans cette même logique, vers la fin des années 90, le Préfet s’est rappelé de la vocation marchande du service public départemental. Le Conseil général est invité à lui céder gratuitement tout son patrimoine foncier et bâti à La Poste. Le service des hydrocarbures et France télécom empruntent le même chemin en 2003/2004 suivi ensuite par les dispensaires qui ont été mis à disposition à titre gratuit au Centre Hospitalier de Mayotte. Et à côté, on laisse le Conseil général supporter seul la charge du service du transport scolaire et celui du transport maritime, bien sûr sans la moindre compensation ou contrepartie de l’Etat. Ce dernier avait même poussé jusqu’à obtenir de l’assemblée départementale l’exonération de certains de ses services du paiement de la traversée par barge !
Par ailleurs, depuis 2011, le Conseil départemental s’est vu refourguer une multitude de compétences à coup d’ordonnances qui, bien souvent, omettent la partie règlementaire, synonyme de dotations supplémentaires compensant le transfert de charges. Par conséquent, au-delà d’être insuffisamment maîtrisées, ces compétences exercées souffrent cruellement des moyens financiers adéquats. Et quand bien même les compensations existent, elles sont la plupart du temps extrêmement sous évaluées. De sorte que même si parfois la Commission locale d’évaluation des charges est saisie de manière a posteriori, les montants des compensations fixés discrétionnairement ne sont jamais à la hauteur des dépenses réellement supportées par le Département de Mayotte. C’est donc un mode de financement particulièrement dérogatoire et extrêmement fragile dont bénéficie l’Assemblée unique de Mayotte.
En matière sociale, après s’être fait confisquer leur épargne pour alimenter les comptes de la caisse nationale de sécurité sociale, les cotisants mahorais continuent à être prélevés à 2% pour financer la santé des autres. Là où il existe autant de caisses que de branches, notre fameuse Caisse de sécurité sociale de Mayotte réalise l’exploit de toutes les réunir pour une efficacité identique si ce n’est meilleure que les autres. Il semblerait que ce modèle est plébiscité ailleurs! Demandez l’avis des adhérents de la CSSM !
On peut relever également, « l’agenciarisation » à outrance, avec des pans entiers de politiques publiques majeures délégués discrétionnairement au secteur associatif, avec comme seuls motifs les spécificités du territoire et l’ampleur de certains phénomènes que le secteur public décentralisé et déconcentré serait moins bien qualifié pour les mener.
En matière de transport aérien, on nous vend de vols directs Mayotte/Paris pour mieux nous faire transiter à La Réunion.
Sur le sort des entreprises
Il faut noter aussi qu’un rapport de l’Inspection Générale de l’Administration d’octobre 2019 portant sur les délais de paiement des collectivités d’outremer relève que «les délais ont tendance à augmenter depuis plusieurs années allant parfois jusqu’à plus d’un an, ce qui fragilise le tissu économique en mettant la trésorerie de nombreuses entreprises en difficulté ». Ces dernières se retrouvent doublement punies, puisque non soutenues par les banques locales, elles se retrouvent in fine à devoir faire l’avance aux collectivités locales.
En matière de gestion local
Le rapport thématique de la Cour des comptes du 13 janvier 2016, consacré à la départementalisation de Mayotte n’y fera rien, puisqu’en début d’année 2022, le projet de loi Mayotte, censé corriger les errements constatés depuis 2011, a mis à hue et à dia l’ensemble des forces vives du territoire et particulièrement les politiques locaux.
Pour ce territoire aux multiples crises, les réponses au renforcement de l’État régalien et du Conseil départemental, à l’égalité des droits sociaux, à l’essor des politiques de jeunesse et insertion ou au développement accéléré du territoire, à l’exception de toutes les autres, demeurent autour du triptyque suivant : Tout d’abord l’arrêt des dispositions dérogatoires et particulièrement discriminatoires encore en vigueur, l’application ensuite des lois de la République, conformément aux règles de la décentralisation et, enfin, des investissements massifs avec des outils financiers qui ont bâti la France d’après-guerre.
L’égalité à tout prix ne doit pas seulement être ce leitmotiv de tous les postulants aux élections législatives, elle commande avant de vouloir parachever une quelconque décentralisation non encore mise en oeuvre à Mayotte, de faire cesser en premier lieu ces nombreuses illégalités institutionnalisées, en finir avec les organismes hérités pour certains de la période d’avant la départementalisation, et corriger les injustices nées en 2004 au moment du transfert de l’exécutif au Conseil général avec la suppression de la tutelle administrative.
Ainsi à l’orée de la 16ème législature annoncée, il serait peut-être de bon aloi que la Cour des comptes puisse poser à nouveau son regard sur le portage des politiques publiques au terme des 10 ans de départementalisation. Ceci pourrait-il constituer un gage aux futures propositions législatives qui voudront à tout prix engager le parachèvement de l’Assemblée unique de Mayotte, à l’instar des autres collectivités, devenues uniques par fusion des assemblées existantes, ignorant totalement que nous n’avons pas bénéficié des mêmes vécues de la décentralisation ? Comme dit Raymond Queneau « Comparaison n’est pas raison ».
A propos, tout le long de cette année 2022, sont célébrés les 40 ans de l’Assemblée de Corse.
Nabilou Ali Bacar
Observateur de la vie publique
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