Une nouvelle venue dans l’arène parlementaire : Estelle Youssouffa l’emporte avec 66% des suffrages exprimés dans la première circonscription face à Théophane Narayanin. Le discours anti-immigration contre celui axé sur l’économie, en somme. L’ancienne journaliste a fait son chemin médiatique sur l’île en 2018 lors de la grève contre l’insécurité. Arborant salouva et fleur d’ylang, symboles de Mayotte, elle a su s’imposer comme héritière des Sorodas, ces combattants pour Mayotte française, et surfer, pour les plus anciens sur les vieilles rancœurs attisées par l’immigration et la délinquance que rien ne semble ralentir. Pour les autres, par une situation sécuritaire et un sentiment d’impuissance qui pousse aux extrêmes. Sans doute celle qui s’était promise comme une “mercenaire pour Mayotte” a-t-elle bénéficié de l’absence de candidature RN dans la première circonscription.
Si elle a surtout bénéficié d’un ras-le-bol général, il lui faudra désormais troquer la colère de son électorat contre un ciment plus constructif, afin de nouer à l’assemblée les partenariats nécessaires au développement de notre île. Avec ce succès électoral, Estelle Youssouffa confirme une ambition qui lui était prêtée dès son retour à Mayotte en 2018 mais qu’elle n’a officialisée qu’en septembre 2021.
Dans la deuxième circonscription, Mansour Kamardine remporte une nouvelle fois son duel contre Issa Issa Abdou, avec pas moins de 59% des voix, et rempile ainsi pour un troisième mandat. Le ténor de la politique locale illustre pour le sud le choix de la continuité, et le succès d’une communication bien rodée. Reste à voir s’il voudra accompagner son homologue de la première circonscription dans les arcanes du Palais Bourbon pour oeuvrer efficacement à deux dans des intérêts communs.
Malgré tout, ces résultats qui tiennent presque du plébiscite pour chacun des deux élus gardent un goût amer, car la participation indique un clair désamour des électeurs pour ce scrutin pourtant central dans la vie politique française.
Difficile en effet de parler de vainqueur, quand aucun candidat n’emporte de majorité des électeurs inscrits. Une fois encore, le grand gagnant de ce scrutin reste l’abstention. Celle ci crève le plafond au niveau national avec 54%, soit plus d’un électeur sur deux qui a boudé le scrutin. A Mayotte, les chiffres sont pires encore, puisqu’à 17h, 62,5% des électeurs inscrits ne s’étaient pas rendus aux urnes.
Dans ces conditions, aucun des candidats envoyés au Palais Bourbon n’a de quoi sabrer le jus de tamarin ce dimanche soir. Pour autant, la faute n’en revient pas qu’au soleil, qui a rendu les plages particulièrement attractives en ce 19 juin. La qualité des débats, le niveau des attaques, et le désamour des électeurs pour la politique n’ont fait que plomber un vote déjà vérolé par une actualité violente, principalement à Koungou, qui a remis l’insécurité au cœur des préoccupations. Un sujet sur lequel, pourtant, les parlementaires disposent de bien peu de moyens -sans quoi les précédents n’auraient-ils pas réglé la question depuis bien longtemps ? -.
« La plupart des gens pensent que ces problèmes ne sont pas assez pris en compte par les parlementaires et par l’Etat, quand on voit les questions de sécurité, on a l’impression qu’on n’en sortira jamais » analyse Dhinouraine M’Colo Mainty, le premier adjoint au maire de Mamoudzou, interrogé es qualité de président du bureau de vote centralisateur de la commune chef-lieu, où seuls trois électeurs s’étaient déplacés durant la première demi-heure du scrutin. Lui ne blâme pas le soleil, mais les candidats eux-mêmes. « Ce n’est pas habituel, les législatives ne mobilisent en général pas beaucoup mais on fait mieux au 2e tour. Là trois électeurs en une demi-heure ce n’est pas beaucoup. Je pense que les candidats n’ont pas fait ce qu’il faut pour mobiliser les électeurs ». Preuve en est, l’absence d’assesseurs ou de délégués dans le bureau de vote. Résultat, « on se retrouve avec des agents de la mairie pour faire tourner le bureau de vote » indique l’élu. Pour lui, le fait que des candidats se bousculent sans étiquette voire sans expérience politique aurait plombé la motivation des électeurs. Ainsi dans la première circonscription dont dépend la mairie de Mamoudzou, « les deux candidats qualifiés au 2e tour ne sont pas des politiciens à la base, ils n’ont pas les gens nécessaires autour d’eux pour faire vibrer leur élection » estime le premier adjoint qui note un « essor de la société civile » parmi les candidats. Difficile aussi sans étiquette, nous l’écrivions déjà lors du premier tour, de nouer de solides alliances à l’Assemblée. Même, voire surtout, en s’autocollant une étiquette de « mercenaire ».
Au final le risque était de se retrouver avec de nouveaux « députés mabawas », du surnom du député Boinali élu en 2011 suite aux grèves contre la vie chère, et dont le mandat a été durement jugé par l’Histoire. Mais on se doute que l’élue de la première circonscription, elle aussi propulsée par un mouvement de grève, saura éviter les mêmes écueils. Au risque de donner raison à l’un des premiers électeurs de ce dimanche, pour qui les députés se valent tous : « Ils ne sont là que pour ramasser des sous » assure-t-il, n’étant aller voter que « parce que c’est un devoir ». Cette perte de confiance associée à la théorie du « tous pourris » est une porte béante vers une abstention croissante. Personne n’en sort vainqueur, et encore moins les électeurs.
Y.D.
Comments are closed.