Sur les 3500 nouveaux bacheliers chaque année, entre 1000 et 1200 sont accueillis par l’offre de formation supérieure de Mayotte. Pour le reste, soit environ 2300 jeunes, il s’agit alors de quitter l’île au lagon pour poursuivre leurs études, face à la saturation des filières sur le territoire. Néanmoins selon les chiffres avancés par Houssaini Assani Tafara, fondateur d’Emanciper Mayotte, les élèves en première année dans l’hexagone connaissent un taux d’échec de 90%.
“C’est une étude qui a été menée par le Conseil départemental en 2010/2012 sur les conditions de réussite des étudiants mahorais. C’est toujours d’actualité. Aujourd’hui ils nous disent que ça a baissé. Mais qui est allé compter ? Personne ne veut faire l’étude parce que c’est catastrophique” explique Tafara.
Des problématiques marquées et récurrentes
Selon notre interlocuteur, bien habitué de ces questions depuis la création d’Emanciper Mayotte en 2017, les problématiques rencontrées par les jeunes étudiants sont multiples. Au niveau de l’orientation tout d’abord : “entre ce qu’ils font ici et la poursuite d’études en métropole il n’y a souvent pas de liens, donc ils découvrent la matière lorsqu’ils arrivent là bas, parce qu’ils n’en ont pas fait auparavant” explique-t-il.
Autre difficulté : le niveau solaire. “Lorsque les jeunes partent en métropole, le niveau scolaire est plus bas que celui attendu en métropole (…) , ils manquent de méthodologie de travail, parce que justement les profs sont obligés de courir pour rattraper le programme scolaire, donc ils n’ont pas le temps de l’accompagner sur la méthodologie”, mais aussi “d’autonomie, parce qu’ici ce sont les parents qui doivent courir après pour qu’il arrive à réviser”. Le manque se ressent également au niveau de la culture générale, selon Houssaini Assani Tafara.
S’ajoute à cela un niveau de français différent à l’écrit et à l’oral : “quand on parle en français à Mayotte on met des mots en Shimaoré à l’intérieur. Et quand ils arrivent en métropole ils se rendent compte que ces mots là n’existent pas dans le dictionnaire français. Et souvent quand ils s’adressent à quelqu’un, ils ont un accent, les gens se moquent d’eux, et ils utilisent des mots que les gens ne comprennent pas. Ce qui fait qu’ils ont tendance à se renfermer sur eux”.
Et enfin, les problématiques d’ordre administratif : Parcoursup, demandes de bourses, recherches de logements, affiliation à la sécurité sociale, affiliation à une mutuelle… ” Et ils ne connaissent pas les solutions de déplacement en métropole” ajoute Tafara. “Quand vous mettez toutes ces questions les unes derrière les autres, c’est tout à fait normal qu’on ait 90% d’échec”.
Remédier à cette situation dramatique
“Les conséquences de cela, de cette absence de préparation de nos jeunes, c’est que chaque année on a dix décès dans la communauté étudiante mahoraise” reprend le fondateur d’Emanciper Mayotte, évoquant les deux décès survenus la semaine dernière. C’est pour lutter contre cet échec programmé que l’association multiplie les actions, avec des interventions dans les lycées en partenariat avec le rectorat de septembre à juin. Il convient alors, dans les classes de première et terminale, d’expliquer l’importance de bien choisir son orientation, d’entreprendre ses démarches en temps et en heure, etc.
De juillet à la mi-août, Emanciper Mayotte intervient avec ses partenaires associatifs pour mobiliser des jeunes, afin de les faire venir dans les nombreux forums organisés dans les différentes communes de l’île. Des partenaires comme Vatel, Oudjerebou, Accès, à qui l’association demande de venir exposer leurs offres de formation.
En parallèle, Emanciper Mayotte intervient dans le cadre du dispositif Erasmus + : “On prend des jeunes qui ont échoué en métropole et qui reviennent sur le territoire. Ils sont formés, et on les envoie en mobilité internationale”. A ce jour, 15 jeunes prennent part au dispositif, et sont à Malte, Barcelone et Malaga. “L’objectif c’est de leur donner une seconde chance en mobilité internationale, mais en préparant la mobilité”. Enfin, l’association agit avec les dispositifs de services civiques : “On prend des jeunes éloignés de l’emploi, on les forme et on les met à disposition des associations partenaires” conclut Tafara.
Autant d’actions éminemment positives pour le territoire qui mériteraient de se voir multipliées, au même titre que le sujet de l’isolement des étudiants mahorais à l’étranger mériterait de faire l’objet d’une nouvelle étude, tant les enjeux sont d’ampleur. Car si les voyages forment la jeunesse, l’on ne peut décemment omettre de former la jeunesse au voyage.
Mathieu Janvier
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