“Séquestration”, “abus de justice”, “règlement de comptes”, “justice aux ordres”. Les proches de l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi ne manquent aucune occasion pour dénoncer sa détention prolongée chaque mois d’août depuis 2018. “C’est un acharnement contre la personne de Sambi”, a dénoncé lundi 22 août, son avocat Me Mahamoudou Ahamada. “C’est une honte pour notre justice”, a-t-il souligné dans une vidéo disponible sur les réseaux sociaux.
Les partisans de Sambi dénoncent “une cabale judiciaire”
En clair, les proches de l’ancien raïs accusent la justice “d’une détention illégale” et s’interrogent sur sa durée. Pour eux, “l’ancien président est victime d’un règlement de comptes”, dénonçant “une procédure bâclée” dirigée contre “une personne prête à répondre à toute question liée au programme de citoyenneté économique”. Les partisans de Sambi avaient dénoncé “une cabale judiciaire, une procédure viciée visant à charger l’ancien président”, estimant que l’enquête aurait été faite à l’aune de cette conviction de culpabilité de l’ancien chef d’Etat. Un argument qui pourrait être légitimé par la forme de la détention.
D’abord l’arrestation. Elle a été décidée, dans un premier temps, par une note administrative signée en mai 2018 par le secrétaire général du ministère de l’Intérieur Said Abdou Djaé pour “trouble à l’ordre public”, soit quelques semaines après son retour d’un voyage en France. L’ancien président sera alors placé en résidence surveillée au sortir de la grande mosquée de vendredi de Moroni. Il sera ensuite inculpé quatre mois plus tard.
Le magistrat instructeur en charge du dossier va lui poursuivre officiellement, dans un deuxième temps, pour “corruption, détournement de fonds, forfaiture… » présumés dans le cadre de l’enquête relative au programme dit de citoyenne économique. M. Sambi est détenu depuis le 20 août 2018 dans sa résidence administrative transformée en prison annexe. Son avocat croyait que son client allait être jugé quatre ou huit mois après conformément aux dispositions du Code de procédure pénale. “Mais 5 ans après, nous sommes convaincus qu’il y a une volonté délibérée de séquestrer Sambi, c’est une aberration”, dénonce Me Mahamoudou Ahamada dans sa vidéo.
Les partisans et les proches de l’ancien président demandent son jugement. Les autorités judiciaires comoriennes avaient promis, à plusieurs reprises, la tenue du procès sans parvenir à convoquer le tribunal correctionnel. Le parquet de la République avait annoncé “la fin de l’instruction” il y a un an et surtout la rédaction de l’ordonnance de renvoi, qui ouvre la voie à l’organisation de l’audience. “Le procès sera organisé avant la fin de l’année”, avait déclaré, en mai 2021, l’ancien ministre de la Justice, Mohamed Housseine Djamalilaili. Le président Azali Assoumani avait laissé entendre, cinq mois plutôt, que “tout doit être fait pour que le procès ait lieu rapidement” au cours d’une rencontre avec les journalistes à Beit-Salam à l’occasion des vœux de la presse de l’année 2022.
Le parquet de Moroni dit se conformer à une loi anti-corruption de 2013
La détention provisoire fait l’objet d’un débat passionné aux Comores. Pour l’avocat de Sambi, “il s’agit d’une détention illégale” aux yeux de la procédure prévue, se fondant sur l’article 145 du Code de procédure pénale qui limite la détention provisoire classique à huit mois. Mais le parquet de Moroni fait une lecture différente de cette détention provisoire spéciale, se fondant sur l’article 16 de la loi anti-corruption N°08-018/AU du 25 juillet 2008 promulguée en 2013 sur “la transparence des activités publiques, économiques, financières et sociales”.
“La mainlevée du mandat de dépôt ne peut être prononcée et la demande de mise en liberté provisoire est irréversible si le montant des sommes ou objet manquant est supérieur à 200.000 francs comoriens. Le ministère public s’y opposera par réquisitions écrites”, indique l’alinéa 3 de l’article 16 qui précise, dans son alinéa 1, que “le mandat de dépôt est obligatoirement décerné lorsque le montant des sommes ou objet manquant n’a pas été remboursé ou restitué en totalité”.
Cette loi spéciale interdit ainsi, dans son article 17, toute mainlevée d’une détention au profit d’une personne inculpée de détournement de fonds publics sans le versement d’une caution du montant égal aux sommes présumées détournées. “La mainlevée du mandat de dépôt et la mise en liberté provisoire en tout état de cause, sont subordonnées au versement d’un cautionnement d’une somme égale au montant des sommes ou objet non encore remboursés ou restitués”. Autrement dit, la détention provisoire ne peut pas être levée, selon le parquet de Moroni, avant le versement du montant, sous forme de caution, des fonds présumés avoir été détournés par l’inculpé.
Pour rappel, l’ancien président (mai 2006- mai 2011) est poursuivi dans le cadre d’une vaste enquête relative au programme de citoyenneté économique d’un montant annoncé de 200 millions de dollars dont 175 millions destinés à des projets d’infrastructures et 25 millions accordés sous forme d’aide budgétaire, selon les termes convenus à l’époque. Les Comores devaient attribuer la nationalité à 4000 familles bédouins, apatrides du Golfe, en contrepartie de cette somme qui étaient affectée à des investissements aux Comores, mais les fonds avaient échappé à tout circuit officiel, notamment la Banque centrale des Comores (BCC).
Blanchiment d’argent, mafia ou mirage financier ?
Mais le pacte avalisé à travers une loi controversée, adoptée dans la confusion en novembre 2008, ressemble plutôt à une action de blanchiment d’argent qu’à un programme d’investissement digne de ce nom. L’opération a été menée par Bashar Kiwan, qui créera, dans la foulée, un groupe dénommé Comoro Gulf Holding (CGH) censé jouer les intermédiaires entre les Comores et les demandeurs de passeport, puis capter la manne financière provenant du programme.
M. Kiwan* est un sulfureux homme d’affaires franco-syrien qui a fait fortune dans la mafia internationale, actuellement emprisonné au Koweït. Les investisseurs promis n’ont jamais foulé le sol comorien, à part une société turque dénommée Kulak, deux ans plus tard, censée engager des travaux d’infrastructures dans l’archipel. Le président Sambi avait lui-même fait savoir dans une déclaration publique au foyer des femmes de Moroni que “les Comores ne toucheront pas les fonds mais valideront les factures une fois les infrastructures construites et livrées”.
Mais la société turque a plié bagages quelques mois après son installation “pour facture impayées”, selon une note officielle adressée aux autorités comoriennes en janvier 2012. La société turque n’a engagé que quelques chantiers comme les travaux de construction du stade de Hombo à Ndzuani, une route à Ngazidja, la réfection de quelques ruelles à Moroni et les travaux de déblayage pour un projet mort-né de construction d’un petit port de plaisance à Moroni, porté par un autre sulfureux émirati dénommée Essam El Fahim. Le chantier a été abandonné.
En gros, le programme de citoyenneté n’a apporté qu’une dizaine de milliards de francs comoriens récupérés et qui ont permis de construire 42km de routes dans les trois îles, selon un contrat signé en septembre 2011 au palais de Beit-Salam entre le gouvernement comorien et la société française Colas. Le reste des fonds du programme était introuvable. Une facture de 25 milliards de francs pour “travaux exécutés” a été rejetée en octobre 2011 par le président Ikililou Dhoinine, estimant que “rien ne puisse justifier une telle facture en l’absence de travaux exécutés”. Les projets annoncés comme la construction d’une marina à Moroni, des écoles, des hôpitaux, des routes et la création d’une compagnie internationale pré-baptisée “Air Mohéli International” n’ont jamais vu le jour.
Sambi nie tout acte de détournement de fonds
Un rapport parlementaire accablant a, par ailleurs, fait mention d’une vaste opération d’escroquerie en bande organisée avec l’existence d’un réseau parallèle de vente de passeports comoriens en dehors du circuit officiel. La société belge Semlex qui a obtenu le marché de confection des passeports aux Comores avait été pointée du doigt tout comme des officiels comoriens qui avaient attribués des passeports à des étrangers dont un proche du prince de Monaco.
Il s’avère, selon ce même rapport, que des passeports comoriens avaient été délivrés à des Iraniens qui avaient besoin de contourner l’embargo américain contre l’Iran pour vendre leur pétrole dans le marché international. Des montants colossaux “jusqu’à 900 milliards de francs comoriens qui n’avaient pas été enregistrés dans les caisses de l’Etat”, selon ce rapport des parlementaires remis en cause par les députés pro-Sambi à l’époque. Le journal Al-watwan avait, dans un article, parlé “d’une mafia au sommet de l’Etat” pour qualifier les opérations suspectes menées par des politiques et des affairistes dans le cadre de ce programme.
Un mémorandum d’entente signé en avril 2008 prévoyait une opération de vente de passeports d’un montant de 350 millions d’euros à raison de 35.000 euros le passeport pour les personnes majeures et 18.000 euros pour les mineurs Et ce avant même l’adoption du texte par les députés. Le président Sambi a signé le décret N°08-072/PR en date du mois de juillet 2008 autorisant un certain Hassan Abdourahman, le droit de superviser les opérations prévues par le mémorandum d’entente.
Les statistiques fournies par le rapport parlementaire font état de “47.000 passeports” édités mais les décrets d’attribution de passeport n’avaient pas été enregistrés dans le journal officiel durant cette période. Il n’y a aussi “aucune trace des 350 millions d’euros promis”, selon le rapport parlementaire. De nombreuses sources parlent d’une dissimulation présumée de fonds à Belize via des sociétés offshores.
Il est notamment reproché à l’ancien président d’avoir accordé un mandat exclusif à Bashar Kiwan pour agir “au nom de l’Etat comorien” notamment dans la collecte des fonds et la recherche d’investisseurs désireux de venir aux Comores. Un acte qualifié de “haute trahison” présumée car “il y avait une volonté délibérée de confier une partie de la souveraineté d’un pays à une tierce en violation des règles prévues”, d’après le réquisitoire introductif du parquet de Moroni. En avril 2011, une note mettra fin à la collaboration avec Bashar Kiwan. Sambi prendra alors langue avec un certain Ahmed Djaroudi, membre du réseau de ce cartel mais qui s’était rebellé contre le boss M. Kiwan.
De lourds soupçons de corruption présumés ont été annoncés. Tout comme des actes posés avant même l’adoption de la future loi controversée comme le mémorandum signé en avril 2008 alors que la loi sera adoptée sept mois plus tard, le 27 novembre 2008. On parle même “d’une gratification de 105 millions de dollars versés avant même l’adoption de la loi en novembre 2008”. L’ancien ministre des Affaires étrangères, Souef Mohamed El-Amine, disait “détenir des preuves” mais celles-ci n’ont jamais été rendues publiques.
L’ancien chef d’Etat nie bec et ongle tout détournement de fonds publics et se dit prêt à répondre à toute question du juge. “Je ne crains pas la justice mais l’injustice” avait-il souligné dans sa dernière déclaration, peu avant sa mise en résidence surveillée. Est-il coupable ou responsable ? Seule la justice le dira. En attendant, ses partisans demandent haut et fort la levée de la mesure de détention provisoire qui pèse sur lui et qui cause, selon eux, des dommages sur sa santé personnelle.
A.S.Kemba, Moroni
* Egalement propriétaire du journal Albalad, édité de 2008 à 2012 aux Comores et à Mayotte
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