Deux maîtres mots résument le programme innovant de résorption de l’habitat insalubre : anticipation et concertation avec les habitants. On est loin des démolitions en urgence et d’un relogement en panique comme ce fut le cas pour le quartier Jamaïque à Koungou, cette fois, les habitants ont été contactés de longue date. « Jusqu’à présent les opérations de Résorption de l’Habitat Insalubre (RHI) portaient essentiellement sur la viabilisation des quartiers et n’intégraient donc pas comme objectif principal le relogement et l’insertion des personnes. »
C’est donc une « opération pilote » que celle du talus de Majicavo qui a comme principal objectif l’accès au logement des personnes impactées par la résorption de l’insalubrité.
Et la municipalité a décidé d’en rédiger une méthode à l’intention des autres municipalités, comme l’explique le maire Assani Saindou Bamcolo : « En un an, une opération a pu être réalisée avec succès, des enquêtes sociales jusqu’à l’entrée des familles dans les nouveaux logements. Cette opération n’aurait pas pu voir le jour sans nos partenaires : l’Etat, dont la préfecture, la DEAL, la DCS, l’ARS etc., Conseil Départemental de Mayotte, Action logement ou bien encore l’ANRU. Ce retour d’expérience, nous souhaitions le partager avec vous, villes de Mayotte, afin de le porter au niveau des politiques nationales, de l’enrichir et de permettre que le bidonville disparaisse durablement du paysage de l’île. »
Pour résorber durablement l’insalubrité, le projet a du s’atteler à la question de l’accès au logement des 50 ménages habitant le site, majoritairement français et personnes en situation régulière. « N’ayant pas eu de réponse concrètement mise en œuvre ces 20 dernières années et la situation s’aggravant à grande vitesse, la ville de Koungou a choisi de passer à l’action tout en capitalisant au fil de l’eau les retours d’expérience. »
Cinquante ménages en danger
Le talus Majicavo est donc la première opération à proposer un relogement sur site de ménages vivant en bidonville à Mayotte. Or le projet se confronte à plusieurs freins : la dérogation au droit commun, notamment le droit au séjour, le foncier sur-occupé, l’absence d’un opérateur en gestion locative très sociale, la rareté des travailleurs sociaux etc.
Comme aucune méthode proposant de prendre en compte tous ces critères à la fois n’existait, le projet a été monté au fil de l’eau, « en partant du terrain » et « en acceptant que tous ne soit pas défini en amont, mais au fur et à mesure que le projet se réalise, grâce à l’implication de chaque acteur ».
Constat était fait qu’une cinquantaine de ménages sont en danger, et la chute d’un rocher en 2017 en avait donné un aperçu, et occupent de manière informelle un foncier public, mais que le parc de logement de la commune est saturé. Il était donc décidé de viabiliser le quartier, de reloger durablement les ménages en fonction de leurs profils, étant donné que la plupart sont français ou en situation régulière. Certains étant sur place depuis plus de 20 ans, il était décidé de préserver les liens sociaux, et de reconstruire sur place. Mais ce n’était pas faisable partout. La mairie accompagnée de la DEAL et du bureau d’étude Harappa s’est donc rendue sur place pour évaluer les possibilités de construction. Des drones ont été notamment utilisés, ainsi que la connaissance du terrain de la part des habitants.
Harappa a joué le petit MOUS
La maîtrise du foncier a été facilitée par sa cession gratuite à la commune de la part du Conseil départemental. Il a ensuite été décidé de découper l’opération en deux petits périmètres, histoire de « s’assurer de la faisabilité du projet en commençant avec un petit nombre de ménages ». C’est un financement RHI (Ligne Budgétaire unique et DEAL) qui a été décroché pour un aménagement du terrain où seront construits les logements, mais a également été sollicité le fonds Barnier pour conforter le talus sur lequel aucun logement ne sera implanté et ainsi qu’un financement SIST pour aménager la route nationale face aux risques.
Pour passer à la réalisation, des outils manquaient. L’équipe n’a pas baissé les bras, et a utilisé sa propre ingénierie pour se substituer. Faute de Maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (MOUS) qui permet de traiter les situations d’habitats indignes en proposant un accompagnement, c’est le bureau d’étude Harappa qui a enfilé le costume et qui a réalisé l’enquête sociale et du bâti. Un bureau d’étude constitué de connaisseurs de l’île et qui accompagne la mairie dans ces opérations de RHI. Un travail d’équipe, qui a demandé la coordination de tous, « Il peut souvent arriver que les collectivités doivent faire face à un manque d’ingénierie ou d’acteurs mobilisés dans les projets. Cette opération a pu aboutir grâce à l’implication de chacun parfois au delà de ses missions propres afin de compenser ces carences », souligne le document de méthode.
Le travail avec les familles a permis d’éviter le risque d’une réinstallation précaire ailleurs. Certains ont déjà été orientés vers de l’hébergement « ou ont trouvé des solutions par leur propre réseau », mais la plupart vont être relogés sur site, et ont donc été hébergés momentanément dans des ‘logements-tiroirs’, c’est à dire provisoires. En l’occurrence, ce sont des Algeco positionnés non loin du site, 6 logements T2, « la redevance se fait en fonction des ressources et la durée est de 3 mois renouvelables une fois ». Les familles avaient auparavant été épaulées dans leur accès aux droits.
Il manque un opérateur de logements très sociaux
Les minimas sociaux étant de moitié de ceux de la métropole, l’objectif est de développer un modèle de logement locatif en réduisant les coûts de construction permettant ainsi d’obtenir des loyers très modérés. Le type de logement retenu avait été inauguré par le préfet Colombet à Majikavo.
La priorité aujourd’hui est donc d’attirer ou de créer un opérateur très social capable de produire mais aussi d’assurer la gestion locative du parc de logements d’accessions très sociale. En attendant, un intermédiaire locatif social intervient pour 2 ans sur le par des 30 logements locatifs, Soliha, appuyée par la Fondation Abbé Pierre, qui accompagne les ménages après leur installation.
Tout en insistant sur la réelle implication et coordination des acteurs impliqués à tous les niveaux, « sans cette énergie commune, le chantier n’aurait pas eu lieu », ces derniers indiquent que « il n’existe pas un modèle mais des modèles à développer et ceux-ci sont à « imaginer » en fonction des parcours résidentiels des habitants, point d’entrée à tout déploiement de produits sur le territoire Mahorais. Cette expertise fine relève d’une ingénierie métropolitaine existante dont Mayotte doit aujourd’hui pouvoir bénéficier pour aboutir sa politique du mal logement. »
A.P-L.
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