Sur les hauteurs de Petite-Terre, Hafizou se bat pour le quartier de la Vigie, un village qu’il aime et où il y a tant à faire. Président d’une association, il est aussi chauffeur, le chauffeur du «Président».
Hafizou Dahoudou a passé sa vie à conduire. Des bus, des voitures, des combats, des projets. Dans le quartier de la Vigie où il habite, sur les hauteurs de Petite-Terre, tout le monde l’appelle Président. A 53 ans, il dirige une association qu’il a montée avec des amis pour défendre les intérêts des habitants, «de tous les habitants».
«Qui je serais si je faisais le tri ?» demande Hafizou. « Mon grand-père était algérien, ma grand-mère malgache, ma mère mahoraise et mon père Anjouanais. C’est pour cela que j’aide tout le monde sans distinction. Nous vivons tous ici et nous méritons tous de vivre mieux.»
Quand il a bâti sa maison, elle était isolée dans la colline, c’était une époque où peu de gens envisageaient de vivre là. «Je suis né et j’ai grandi à Pamandzi. Dès mon plus jeune âge, j’aimais venir ici. Il y a 20 ans, autour de ma case, il n’y avait que des manguiers», se souvient le Président.
Mais, depuis 15 ans, la Vigie a totalement changé de visage, de nombreuses personnes sont venues s’installer. Bangas en tôles et maisons en dur ont peu à peu colonisés la zone. Un véritable village s’élève désormais à flanc de colline, avec des quartiers et ce qui s’apparente à des «routes». Ce sont en réalité des chemins en terre bien tracés mais totalement défoncés. L’érosion causée par les pluies a creusé des fossés dans les chemins. Impossible d’y faire rouler le moindre véhicule quand le simple fait d’y marcher sans tomber est déjà bien difficile.
«Les gens font plus d’un kilomètre à pied pour monter à la Vigie depuis le bas de Pamandzi avec les sacs de riz sur la tête. Et s’il se passe quoique ce soit, les pompiers ne peuvent pas y accéder.» Le service de ramassage des ordures non plus… comment venir installer une benne à travers des tranchées ? Conséquence, de vastes décharges sauvages ont vu le jour. «Les gens jettent mais ils n’ont pas le choix. Le problème, c’est que si un jour, il y a une épidémie, ça va concerner tout le monde.»
Chauffeur : ne jamais mélanger les rôles
Hafizou connait tout le monde à la Vigie. Il faut dire qu’il passe beaucoup de temps ici, il ne travaille qu’une semaine sur deux. Afizou est chauffeur. Le «Président» est le chauffeur du Président.
Sur Petite-Terre, ils sont deux agents du Conseil général à convoyer les personnalités politiques entre la barge, l’aéroport et les lieux de réunion, quels que soient l’heure ou le jour. Pendant une semaine, ils sont à disposition des agendas de l’administration.
Mais s’il approche de près ceux qui pourraient faire changer le quartier et la vie de ses habitants, pas question d’utiliser sa position pour glisser des messages. «Je ne parle jamais politique avec eux. Je ne mélange pas. Quand je conduis, c’est mon métier. Quand je me bats pour l’association, j’écris, je fais des réunions. Pour chaque chose, il y a un moment.»
Une première route et de l’électricité
Hafizou a tout de même utilisé son expérience au service du quartier. Il a été un délégué syndical actif, «pendant 15 ans, aux transports scolaires, je me suis battu pour les intégrations, pour le bien-être des employés. Maintenant, c’est pour la Vigie que je lutte.»
Et l’association a obtenu quelques belles victoires. «On a fait venir Madame le maire pour qu’elle voit comment les habitants vivent. On l’a convaincue.» Une première route bitumée monte désormais vers la Vigie. L’électrification a été financée par le Conseil général sur des fonds européens, des poteaux et des câbles tout neufs quadrillent le quartier.
Mais il manque encore tant de choses : un réseau d’eau potable sécurisé, l’assainissement et bien sûr, un réseau de routes digne de ce nom. «Il faut vraiment réhabiliter et aménager le quartier. Il est classé en zone insalubre, on attend des choses concrètes.»
Les jeunes du quartier, l’autre combat
Quant à l’aspect social de la vie du quartier, l’association fait, là encore, avec les moyens du bord. «C’est un quartier explosif. Avant, avec les jeunes, ça tournait mal. Mais on a parlé, on les a écoutés, on essaie de leur trouver des formations, de faire des animations. Je ne veux pas qu’on écrive que ce sont des voyous. Quand il y a des problèmes, on dit que ce sont des gens mauvais. Ce n’est pas vrai. S’ils avaient des choses à faire, ils ne penseraient pas à faire ce qui n’est pas bon.» Maintenant, Hafizou assure que le quartier a retrouvé son calme.
Le «Président» est respecté et apprécié pour son action mais aussi parce qu’il n’oublie jamais qui il est. Il vient de partir en vacances, à Anjouan, pour la première fois de sa vie. «Mon père vient de là-bas et je n’ai jamais eu l’occasion d’y aller. Maintenant, je sens que c’est le moment. Il faut que j’aille rencontrer la famille. J’ai fait la même chose, il y a quelques années, quand je me suis rendu à Nosy-Be. J’ai cherché et j’ai fini par y trouver de la famille. On a parlé, on a gardé des contacts. C’est important pour moi. Nous sommes tous des enfants de l’Océan indien.»
RR
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