« Quand on voit certaines images à la télé, ça ne donne pas envie d’inciter les gens à aller à la mosquée ou dans les écoles coraniques. Pourtant c’est vital pour que notre jeunesse ne perde pas ses repères », déclare Mondroha Saïd Ali, Chargé d’études et de recherches au conseil cadial de Mayotte.
Le conseil cadial est une émanation de la direction de la médiation sociale du conseil départemental, créé le 13 avril 2018 pour étudier les problématiques culturelles et cultuelles de la société.
Les trois religieux sont devant nous pour tirer un premier bilan des Assises de l’islam qui se sont terminées la semaine dernière. Pas pour en dresser une synthèse, elle sera proposée dans quelques jours par la préfecture, ainsi que par leur soin, mais pour prendre du recul, parce que, au delà de la religion, l’islam de Mayotte a un modèle social à défendre.
Etant donné l’enjeu, les Assises ont été minutieusement préparées, nous précisent-ils, « pourtant, nous n’avions qu’un court délai, mais il fallait être force de proposition sur un sujet d’importance pour nous ». Cela leur a permis de centraliser des propositions de plusieurs membres de la société civile, et de les faire remonter, « nous avons eu des échanges intéressant avec les services de l’Etat », rapporte Younoussa Abaine, le représentant du conseil cadial. « Ils ont notamment appris que la gestion des mosquées ne dépendaient pas de la loi 1905, leurs financements par l’Etat ou les collectivités ne sont donc pas interdits par la loi ». La mosquée de Strasbourg a d’ailleurs bénéficié d’un financement de collectivités, en raison d’une spécificité du droit local en Alsace-Moselle, où ne s’applique pas la loi 1905 de séparations des Eglises et de l’Etat. Cela ouvrirait une porte sur le financement des 350 édifices religieux de l’île, « dont la plupart ne sont pas aux normes. »
« Le respect du maître se perd »
L’objectif est de montrer qu’il existe une spécificité de l’islam ici à Mayotte, non seulement sur ce plan, mais aussi et surtout, sur la manière de le vivre : « La mosquée n’est pas qu’un lieu de prière ici, c’est aussi un lieu d’éducation des jeunes, de célébration de fêtes comme le dahira ou la maoulida. Elles se vivent dans et hors de la mosquée, les femmes cuisinent, les enfants jouent autour, c’est un symbole de cohésion sociale », détaille Chanfi Anouoiri, Chef du Service Etudes et Partenariat au conseil cadial.
Même crédo de cohésion pour l’éducation des enfants. Aller parler d’école coranique en métropole relève de la gageure, « en réalité, les jeunes qui n’y vont pas à Mayotte, ont toutes les chances de mal tourner. Dans nos madrassas et nos chionis se font l’éducation de vie en société de l’enfant, et le respect de l’adulte, du fundi. Or, nous observons que ce respect du maître se perd, l’Education nationale s’en plaint. La désertion des écoles coraniques va de pair avec la perte de repères ».
Il ne s’agit pas de vendre à tout crin un package « Islam de Mayotte », mais de contribuer à un apport et à un éclairage national pour Chanfi Anouoiri : « Mayotte est un petit territoire où la culture est consubstantielle à celle de l’islam. Si on remet en cause l’éducation de l’enfant à l’islam, c’est une perte identitaire. Ceux qui agressent et qui commettent des délits ne sont pas passés par la madrassa, ça n’est pas possible. Et, on le voit en métropole, si on laisse uniquement la place libre aux réseaux sociaux, ils sont foutus ! L’islam comme nous le vivons ici à des valeurs à défendre, apaisées. C’est cette éducation en école coranique qui les protègera des mauvaises rencontres et des folies de Daech. »
Une belle civilisation
Mais les religieux doivent aussi balayer devant leur porte, étant donné la désertion actuelle de ces écoles : « Cela passe par l’éducation des parents, que nous avons d’ailleurs déjà mis en place à Mroinabeja. Il faut construire les madrassas autour d’eux, et participer à resserrer les liens familiaux », rajoute Chanfi Anouoiri.
Si la conférence de l’islam de Mayotte avait pour objectif en juillet 2017 d’en montrer les spécificités, c’est une impression mitigée qui en est ressortie, « c’est vrai que les gens se disent musulmans, mais ne connaissent pas vraiment leur religion ici », souligne Younoussa Abaine. C’est pourquoi l’enseignement de l’arabe leur semble vital, « et pas seulement pour la compréhension du Coran, mais aussi parce que l’islam est le marqueur de notre belle civilisation musulmane » A qui nous devons la médecine, l’astronomie, l’arithmétique, etc.
Ils se sentent de moins en moins seuls dans leur démarche de proposer la vision d’un islam made in Mayotte. « Un chercheur de Rouen est actuellement ici pour cela, et le gouvernement a lancé un appel à projets sur l’élaboration d’une synthèse sur l’islam de Mayotte et de La Réunion. »
En conclusion, les religieux le répètent, « Mayotte doit contribuer à faire que l’islam soit une chance pour la République, et que la République soit une chance pour l’islam ». Un voisinage compatible, avait prouvé le DU qui lui était dédié au Centre Universitaire. « Quand nous étions jeunes, pendant les 10 minutes passées à l’école coranique tous les matins avant l’école de la République, on nous enseignait : ‘chacun de vous sera le gardien de l’autre’ ».
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
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