C’est par une Marseillaise qu’a commencé le premier grand rassemblement des gilets jaunes de l’île, histoire de rappeler que ce dispositif prend place « dans le cadre des valeurs de la République », introduisait Tony Mohamed, président de l’association Espoir et Réussite, œuvrant dans la prévention de la délinquance. Etant donné que l’Union des gilets jaunes de Mayotte est en cours de création, la rencontre se tenait dans le cadre d’une 1ère conférence sur « La valeurs des actions préventives des associations ‘gilets jaunes’ dans la religion et la République ».
Tony Mohamed retraçait rapidement l’historique de ce dispositif, devant les hommes et femmes qui en sont les acteurs, et dont les gilets étaient restés pour la matinée au porte-manteau : « Les coupeurs de route, les cambriolages de jeunes armés de chombo, des règlements de compte entre bandes, devant et dans les collèges et lycée, puis, la grève, les barrages routiers : tel est le tableau noir de ces dernières années. Fin 2017, lors de la présentation du bilan de l’Ecole du Civisme Frédéric d’Achery, son président, le capitaine Chamassi, souffle une idée comme remède à l’insécurité. Dans la foulée en février, il propose la création de Comité des sages et de prévention de la délinquance pour lutter contre l’insécurité », nous nous en étions fait le relais.
L’idée fait son chemin puisqu’elle est aussitôt « adaptée par les association et le Bureau Prévention Partenariat de la Police nationale. Et ça a radicalement changé la vie des quartiers ! Sur le 1er trimestre 2018, la délinquance a reculé de 11,7% », croit savoir Tony Mohamed.
Un des « gilets jaunes » nous confiait : « Quand on attrape un jeune en train de commettre un délit, on le sermonne et s’il ne comprend pas, on va voir ses parents. » La lutte contre la délinquance par la proximité fait ses preuves.
« Casser le cercle vicieux de la délinquance »
Une initiative méritoire qui arrivait dans un contexte très dégradé d’agressions répétées, dont une victime, Mohamadi voulait témoigner, mais trop ému, n’arrivera pas au bout de son témoignage : agressé, blessé, “évassané” à La Réunion, « je ne reconnaissait plus ma famille, ça a fichu ma vie en l’air », dit-il.
Autre prise de parole, le Medef Mayotte, dont le secrétaire adjoint Frédéric Turlan, prononçait les mots forts de « changement spectaculaire depuis quelques mois » : « La délinquance avait fait partir des entrepreneurs, des médecins, et là, on peut presque se promener à toute heure du jour et de la nuit. » S’il remerciait ces comités de gilets jaunes pour avoir « cassé le cercle vicieux », il rappelait que d’autres acteurs détenaient la compétence de la prévention de la délinquance, « le conseil départemental, les mairies, l’Etat et nous aussi les entreprises ».
Car comme le rappelait Tony Mohamed, les gilets jaunes sont des bénévoles, « et contrairement à certaines rumeurs, nous n’avons reçu aucun don financier ni de l’Etat, ni des collectivités ». Donc « comment pérenniser ces actions dépendante du bénévolat ? », interrogeait le capitaine Chaharoumani Chamassi, représentant le préfet de Mayotte. Conscient de la fragilité du dispositif, il préférait parler de « lueur d’espoir », et mettait en garde sur un cadre à ne pas dépasser, « ne pas se faire justice vous-même. Il faut rester dans les limites de la loi. Sans quoi des sanctions peuvent tomber jusqu’à la dissolution de l’association. » Des actions en justice ont déjà été menées sur ce plan.
L’un des moyens de rendre ces actions durables, est la formation, ce qu’assurent déjà le Bureau Prévention et Partenariat de la police nationale et la préfecture.
Le culte de la société américaine
Pour bien comprendre l’évolution sociétale en cours, qui part notamment du postulat que beaucoup de parents sont dépassés, le chercheur Elamine Abdallah revenait sur l’impact de la télé et de la mondialisation qui l’a accompagnée. Créant pour l’occasion une nouvelle langue, le ‘shimaorézoungu’, qui le faisait jongler avec les 2 langues : « Les jeunes ont voulu s’identifier à une société américaine qui leur paraissait développée en calquant les organisations de gang. Face à ça, des parents non préparés ou qui n’avaient pas le temps, les comités ont donc investi leur rôle. »
Il propose sa vision à plus long terme, « il faut instaurer des télés villageoises, autour desquelles on débat, on met de la musique, on informe des activités artistiques, de théâtres, etc. Il faut occuper ces jeunes. »
Pour le représentant du Cadi, Mondroha Saïd Ali, qui rappelait que « Salam ! » signifiait « paix », le collectif des gilets jaunes « est dans la lignée de la venue du prophète d’Allah, qui interdit le mal ». Et parce que la délinquance nous concerne tous, « le comité c’est toi, c’est moi. Il n’y a pas d’anjouanais ou de mahorais, de blancs ou de noirs, nous sommes tous des enfants d’Adam. Allah a créé différentes communautés pour qu’on s’entraide ». « Tous les cultes étaient invités, mais ils se sont excusés », rajoutait Rasmia Bacar, la présidente du Collectif Vivre ensemble. Par contre, pas de nouvelles de la mairie de Mamoudzou ou du conseil départemental, glissaient les organisateurs.
Le concept se généralise peu à peu à l’ensemble de l’île, dans les village de Kahani (Ouangani) en face du hub qui a défrayé la chronique, Miréréni (Tsingoni), Trévani, Majicavo Koropa, Bandrajou et Dubaï, (Koungou), Mutsamudu (Bandrélé) et en cours à Mtsamboro.
« Un résultat phénoménal ! », commentait Moumini, dit « Thany », ex-président de l’association de parents d’élèves du collège « Nelson Mandela » de Doujani, qui revenait sur les actions qui y ont été mises en place : « Les parents ont été accompagnés sur la façon de lire un bulletin de notes, ils ont assistés à des cours en classe, on leur a expliqué comment élever leurs enfants quand ils étaient en échec. Les jeunes étaient accompagnés jusqu’au collège le matin, on nous appelle ‘les parents responsables’, et le résultat est incroyable : le terre-plein de Mtsapéré qui était devenu un terrain de boxe, a retrouvé son ambiance de village ». Les applaudissements émaillaient les témoignages.
Une partie de ce concert de louange s’adressait aussi à Thierry Lizola, en charge du BPP de la police nationale, qui retenait le mot « ensemble », « car c’est comme ça que la population a pu se réapproprier la rue. »
Il concluait d’ailleurs sur ce que l’on peut souhaiter de mieux, « que ce dispositif traverse les frontières », une réussite que Mayotte peut se flatter de pouvoir exporter.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
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