En vertu des caractéristiques affichées en préambule de l’étude pour qualifier la commune de Dembéni, « très fortes croissance démographiques », « habitat informel, dégradé et en expansion », c’est plutôt à une étude sur la déscolarisation que l’on a affaire. Une idée qui a émergée de l’Observatoire des Mineurs isolés, explique le sous-préfet à la cohésion sociale Dominique Fossat, « le sociologue David Guyot nous ayant alerté sur les risques de scolarisation. »
C’est d’ailleurs lui qui sera désigné pour mener l’étude, puisqu’il est celui qui avait réussi en 2013 à évaluer le nombre de mineurs isolés à Mayotte, 3.000, dont 555 sans aucun référent parental. Cette expérimentation est cofinancée par le conseil départemental, à part égale avec la préfecture, soit 15.800 euros chacun.
L’intérêt de cette enquête est qu’elle a été personnellement menée par David Guyot, qui s’est adjoint pour ce pèlerinage à travers les cases d’Iloni, la compétence d’un policier municipal : « Du 10 septembre au 19 octobre 2018, nous avons visité les résidences principales au sens de l’INSEE, du quartier, soit 1.500 habitants. »
Première surprise, il y a moins d’habitants que les 2.800 recensés par l’INSEE en 2017. Deuxième surprise, de taille, « le taux de scolarisation est très bon, supérieur à 90% ». Anticipant sur la réforme gouvernementale à venir de scolarisation des 3 ans, il a retenu la tranche d’âge des 3-18 ans, « c’est à dire que sur les âges à scolarité obligatoire actuellement, nous sommes proches de 100% ».
Une toute autre société en 20 ans
Les mauvais scores sont donc à chercher chez les tout-petits de trois ans, « surtout chez les nouveaux arrivants », et chez les enfants atteints de handicap, « plusieurs sont victimes d’exploitation sexuelle ».
Lui qui est un fin observateur de la société mahoraise parle surtout d’une évolution sociétale, « c’est une toute autre société à 20 ans d’intervalle », avec d’un côté « beaucoup de Mahorais partis en métropole », et de l’autre une majorité de comoriens, deuxième-génération, « nés de femmes qui avaient migré vers 1997 », soit après l’implantation du visa Balladur en 1995. Pour appréhender cette évolution, la question « êtes-vous Mahorais ? », a donc été remplacée par « avez-vous une carte d’identité française ? »
Une évolution sociétale qu’il met sur le compte d’une « mixité conjugale », « avec beaucoup de mariages entre des femmes françaises et des hommes comoriens, sûrement par nécessité démographique », les femmes étant plus nombreuses que les hommes à Mayotte. S’ensuit une évolution de la problématique foncière avec toutes les complications que cela engendre.
Iloni, un îlot ou un symbole ?
Il note que les Mahorais qui se déclarent « administrativement coincés sur le territoire », en raison de leur emploi, scolarisent leurs enfants dans des établissements privés, « en primaire et dans le secondaire », en y consacrant des moyens conséquent, plus de 300 euros par mois. Et analyse que les ressortissants comoriens acquièrent davantage de légitimité, « car certains font partie des systèmes de décision. Certaines familles sont très stables, restées sur le modèle même père, même mère, depuis 20 ans ».
En marge de cette étude, il nous explique qu’un de ses rapports, peu diffusé, faisait état de départ volontaires massifs depuis 2010 vers les Comores, « environ 3.000 en 2016 année où ce chiffre a explosé », et ceci, sans analyse plus précise, « sans chercher à savoir s’ils laissaient des enfants sur place ».
Alors, Iloni, un îlot ou un symbole ? « La préfecture avait l’idée forte d’une déscolarisation massive, or les faits démontrent le contraire. Quant à la logique de mobilité, elle me laisse penser que ce n’est pas un épiphénomène ».
Pour en avoir le cœur net, il faudrait mener la même étude dans un village où l’on soupçonne une situation différente, comme Kawéni ou Koungou, « je suis preneur, quitte à déconstruire une nouvelle fois les stéréotypes ! » Ça tombe bien, Dominique Fossat aussi en perçoit l’utilité : « Il faudra mener une même enquête exhaustive dans tous les villages où sont projetées des grosses constructions scolaires et où il y a beaucoup d’habitat illégal. »
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
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