L’affaire est ancienne, mais témoigne de la volonté du parquet de poursuivre sans concession les délits en col blanc. Madi Ahamada Anissi, élu maire de Kani-Keli en 1989, a dans les années 2000 accédé à la commission des marchés publics du SMIAM ( Syndicat Mixte d’Investissement et d’Aménagement de Mayotte, depuis dissout) dont il a pris la présidence en 2011. C’est dans le cadre de ces fonctions qu’il a validé en 2012 l’octroi à la société EMRB du contrat de la construction d’une école sur une parcelle située à Trévani en vue. Coût du projet : 38 000€. Mais le dossier pose un problème de taille.
Le contrôle de légalité de la préfecture découvre en 2013 que l’entreprise de construction n’avait pas déposé de dossier de candidature : son offre, parmi les moins avantageuses de l’appel d’offre, n’aurait jamais dû être retenue. Elle l’a pourtant été. La préfecture a donc écrit à l’ancien président pour le sommer de retirer ce marché, courrier laissé sans réponse. Peu après, c’est l’architecte, maître d’œuvre, qui repère les irrégularités et en avertit à son tour le président, là encore sans réponse.
Comment un élu a-t-il ainsi pu valider un contrat avec une société dont la candidature n’apparaissait pas sur le procès verbal des candidatures ? “Je prends ma décision en fonction de la commission d’appel d’offre, explique le prévenu, c’est eux qui ont le pouvoir de contrôle en amont”. Malgré son poste de responsable, il remettait donc toute sa confiance dans l’institution qu’il avait auparavant présidée. “Donc vous signez comme ça ?” s’interroge la présidente Faure. “C’est à la commission d’éclairer le choix, répète l’intéressé. A partir de là, on rejette ou on retient.”
Concernant les courriers sans réponse, Madi Ahamada Anissi relate le contexte politique pré électoral, et la mort annoncée du SMIAM. “A ce stade là (en 2013), on était dans la logique de tout arrêter, il n’y avait pas lieu de reconsulter, notre démarche était de tout résilier, de ne pas réaliser ces travaux”.
“Pas d’enrichissement ni de corruption”
Mais l’absence de réponse amène la préfecture à avertir le parquet, qui engage alors des poursuites pour délit de favoritisme. ” Vous pouviez aller à l’encontre de l’avis de la commission” lui rappelle un assesseur du tribunal, “vous aviez un pouvoir adjudicateur, donc un pouvoir de décision. Mais pour cela, il faut regarder le dossier, c’est votre rôle”.
“C’était le rôle des collaborateurs” se défend encore M. Anissi, rejoint par son avocat qui s’en rapporte à la réglementation en vigueur en 2013 qui précisait que la commission d’attribution des marchés publics était responsable du contrôle des candidatures.
Mais avec un budget de 25 millions d’euros à l’époque pour investir sur le territoire, le parquet ne digère pas ce qu’il voit comme un “manque de rigueur”. Le procureur Camille Miansoni relativise toutefois. “Il n’est pas question d’enrichissement ou de corruption, ni de prise illégale d’intérêt, mais de respect des règles.” “Avec 20 millions, il y a une nécessité de rigueur” poursuit-il. Estimant que le prévenu “se défile devant ses responsabilité” en chargeant ses agents, il dénonce “des manquements graves” et “une attitude consistant à passer outre les avertissements”, “on ne peut pas tolérer ce genre de pratiques” conclut-il, réclamant 1 an de prison avec sursis, 5000€ d’amende et 3 ans d’inéligibilité. Le tribunal a revu à la baisse la peine de prison et l’amende, en prononçant 4 mois avec sursis et 3100€ d’amende. L’avocat de la défense Eric Dugoujon, qui espérait une relaxe, envisage de faire appel de la condamnation.
Y.D.
Comments are closed.