Pendant six mois, et depuis sans doute bien plus longtemps, les prévenus ont profité du blocage diplomatique avec les Comores pour acheminer cigarettes et passagers depuis Anjouan vers la plage des Badamiers, et parfois, des passagers et diverses marchandises sur le chemin du retour. Un témoignage anonyme a lancé l’enquête en mai dernier. Selon le témoin, un réseau structuré effectuait un à deux trajets par semaines, avec jusqu’à une vingtaine de passagers. La police aux frontières en charge de l’enquête a mis en place des écoutes téléphoniques qui ont permis de suivre ce réseau pendant plusieurs mois et d’établir une certaine hiérarchie entre ses membres. Deux associés, un homme de main, et les pilotes. Au téléphone, des noms de code rivalisant de cynisme. Les passagers étaient “de la marchandise”, ceux qui avaient payé, des “tomates bien mures” et les bébés, des “petites choses”. Quant aux policiers, surveillés de près par des guetteurs, il étaient surnommés “les musclés” ou “les œufs pourris”. Les passagers malades ou handicapés étaient pour les passeurs des “mangues écrasées”.
Comble du cynisme, la présence de gilets de sauvetage pour les pilotes, mais pas pour les passagers. Interrogé sur le risque de mort de leurs passagers, le chef présumé du réseau rétorque à la barre que “c’est le destin”.
Mi-octobre, alors qu’à Anjouan, le soulèvement armé braque les caméras du monde vers les Comores, un “kwassa VIP” arrive à Mayotte par ce réseau. Chaque passager aurait payé 2000€ pour le trajet selon les écoutes. Les prévenus nient. Qui a ainsi fui vers Mayotte ? Mystère.
Bras cassés ou réseau criminel ?
Mardi 6 novembre, estimant avoir assez d’éléments pour caractériser le délit d’aide à l’entrée et au séjour en bande organisée, la PAF procède à l’interpellation des trois suspects. Ils les trouvent dans des bangas insalubres, en situation “d’extrême précarité” selon le dossier. Les perquisitions ne permettent de trouver ni argent, ni cigarettes de contrebande. Après trois jours de garde à vue, les trois compères sont renvoyés devant le tribunal, en comparution immédiate. La police dispose de leurs aveux, et des auditions. En revanche “pas d’éléments matériels” selon leurs avocats pour qui on a interpellé “des amateurs” et pas “un réseau international”.
Pour le parquet, on est en face d’une “société dont l’objet social repose sur le transport de marchandise humaine”, la substitut du procureur réclame de 3 à 5 ans de prison contre les trois complices. Des “peines extrêmement lourdes” selon la défense qui, contrainte de plaider dans le noir à cause de la coupure de courant, s’est attelée à dégonfler la montagne de documents qui trônait sur le bureau des juges. “Un seul kwassa arraisonné, pas de bénéfices saisis, c’est une insulte aux réelles bandes organisées” ironise Me Saliceti qui évoque “trois gagne petit qui bouffent à tous les râteliers”. Les prévenus ne reconnaissent que cinq voyages cette année, pour à peine plus de 1000€ de bénéfice. Loin des quelque 75 000€ qu’ils étaient soupçonnés d’avoir engrangé.
Me Andjilani s’interroge lui sur la méthode, “on a laissé entrer des kwassas à Mayotte pour nourrir cette enquête” accuse-t-il. Si les faits étaient reconnus, les juristes contestaient la bande organisée, pointant “l’amateurisme” des mis en cause, soulevé par la présidente.
Cette circonstance aggravante (la bande organisée, pas l’amateurisme) n’a finalement pas été retenue et les peines sont tombées à 2 ans pour les chefs supposés, et 1 an pour l’homme à tout faire. Des condamnations sans mandat de dépôt, et donc potentiellement aménageables. Ils sont repartis libres, pour le moment.
Y.D.
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