« Avec ma femme, nous sommes arrivés comme infirmiers libéraux à Mayotte en 2009, et nous nous sommes aperçus que parmi notre patientèle, le handicap psychique était peu pris en charge. Puis, nous nous sommes intéressés à la petite structure des Bangalis, à Passamainty, pour la revoir entièrement et en faire un petit centre d’hébergement de personnes en handicap lourd », relate Patrick Bournac, vice-président de l’association Ouoizissa Zifeli Maore (« Prendre soin des handicapés »).
Elle accompagne les enfants, adolescents et adultes en situation de handicap. Et de handicap lourd, puisque sur les 18 pensionnaires, la moitié environ est alitée. « Ils resteront probablement ici toute leur vie. Et alors que la plupart n’ont plus de nouvelles de leurs familles, puisque seuls 4 ou 5 reçoivent de la visite. » L’un d’eux, Nadjidim, un jeune adulte au franc sourire, retourne de temps en temps dans sa famille. « Mais la plupart du temps, les familles vivent mal le handicap ». Sa femme, Violaine Bournac, la directrice de l’association, a d’ailleurs consacré une thèse sur le regard porté sur le handicap à Mayotte, et les croyances associées.
En témoigne le cas d’un homme, le visage grave, assis dans son fauteuil roulant mais le regard perdu dans le vague, « c’est un ancien joueur de foot de 38 ans, qui est resté paralysé à la suite de la chute d’un arbre. Il n’accepte pas sa situation, il prie toute la journée car il est persuadé que quelqu’un lui a jeté un sort. » Quelques activités sont proposées, « mais nous avons du mal a trouver du personnel ». Une monitrice éducatrice est restée un mois et demi, mais a été démarchée par une autre association.
70 personnes sur liste d’attente
L’association a recruté 12 salariés « uniquement du personnel local » : des aides-soignantes, des aides médico-psychologique, un kiné, des infirmiers et un médecin référent. Et la directrice, Violaine Bournac a est titulaire d’un Master spécialisé en management et gestion de structures médicosociales, d’un Master 2 d’Ethique à Paris Sud, et finalise un Executive master en gestion financière à HEC.
Son mari, Patrick Bournac, s’interroge avec son président, Fabien Gimenez, sur le sort des autres handicapés de l’île : « Nous sommes la seule structure d’hébergement. Or, nous avons 70 personnes sur liste d’attente, envoyés par la Maison Départementale des Personnes Handicapées ».
Dès le départ en 2012, ils ont obtenu un agrément de 12 places pour ouvrir une Maison d’Accueil Spécialisé (MAS), et 12 en Etablissement pour Enfant et Adolescents Polyhandicapés( EEAP), « mais nous n’avons obtenu le financement que pour 9 dans chaque structure, malgré les besoins. » Et encore, l’accompagnement par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et l’ARS est « de moitié du montant national », « heureusement que l’investissement a été possible grâce au Fonds Mahorais de Développement Economique, Social et Culturel qui nous a versé 190.000 euros. »
Tenir compte des coutumes locales
Les deux hommes voient plus grand, « pas beaucoup plus, nous voulons rester à l’échelle humaine », et ont répondu à un appel à projet de l’ARS en août 2018, portant sur 5 places en MAS. Un autre appel à projet porte sur la création de 35 places en (EEAP) de 6 à 20 ans, « nous n’avons pas répondu, c’est trop gros pour nous », mais ont eu l’idée de s’associer avec l’ALEFPA, une association gestionnaire de 137 établissement en France, « qui a les mêmes valeurs que nous. Nous leur ferons bénéficier de notre connaissance du territoire, et ils nous apportent un appui méthodologique et technique. »
L’ALEFPA est très présente à La Réunion, complètent-ils. Ils se méfient des réponses d’opportunité, « de grosses structures qui voudront investir le marché, mais sans chercher à comprendre les coutumes locales dans la prise en charge des pensionnaires. » En découle une interrogation, « ne vaudrait-il pas mieux plusieurs petites structures réparties géographiquement dans l’île, qu’une grosse, moins humaine ? »
Pendant que nous parlons, la cuisinière est à l’œuvre, qui prépare un couscous au poulet pour midi, pendant que les lave-linges tournent en boucle, « nous fonctionnons en totale autonomie. »
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
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