« La France n’est pas assez riche de sa jeunesse pour se permettre de la sacrifier », introduisait Laurent Sabatier, président du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Mamoudzou. Souvent accusée de ne pas en faire assez sur le traitement judiciaire des mineurs, la justice n’arrive qu’en aval, rappelait le magistrat, « la protection de l’enfance en danger est le premier niveau de prévention de la délinquance (…), l’intervention du juge doit être provisoire, c’est un passeur de relais. Le jeune doit ensuite réintégrer le contrat social, sous réserve qu’on lui offre une logique de vie. »
Tout dépend du milieu de vie global du jeune enfant, le schéma de la famille en situation de précarité était largement commenté par la suite. C’est en tout cas la compétence du Conseil départemental que de s’assurer de l’accompagnement social de l’enfant, comme le projetait son président Soibahadine Ibrahim Ramadani : « L’aide sociale à l’enfance (ASE), c’est le défi de Mayotte pour les 20 prochaines années. » L’absence de moyens jusqu’alors explique le réveil tardif du Département, « avec les 42 millions d’euros de rattrapage pour l’ASE et les compensations annuelles de 9,6 millions d’euros nous avons un devoir de réussite. » Il attend de ces rencontres la production d’idées et d’outils pour trouver une solution au problème du rapprochement familial de ces enfants.
« En France, ils sont 25.000 mineurs non accompagnés du fait des migrations, signalait le préfet Dominique Sorain, un corpus législatif a donc été mis en place autour de trois axes, l’amélioration de la santé du mineur, l’accès à l’éducation et la lutte contre les violences avec un soutien aux signalements. » Un Haut-commissaire à la protection de l’enfance devrait être nommé, et 141 millions d’euros octroyés par l’Etat. Il saluait à plusieurs reprises le travail des associations, qui ont longtemps suppléé le conseil départemental, au milieu d’un « retard colossal à Mayotte, où l’Etat a ses responsabilités et les assume. » Appelant à innover, notamment autour de l’absence des parents, souvent expulsés en ayant laissé un enfant sur le territoire, « il faut sans doute mettre en place un dispositif de rapprochement familial dans le cadre de la coopération régionale. »
470 enfants nés de mères mineures
Après les discours officiels, des données statistiques inédites étaient livrées par Jamel Mekkaoui, directeur de l’antenne locale de l’INSEE. On apprenait qu’en 2017, sur 9.800 naissances, 470 enfants étaient nés de mères mineures, dont 120 avaient moins de 16 ans. Si 30% des familles ont plus de 4 enfants, les couples se défont rapidement, « un enfant sur quatre vit dans une famille monoparentale ». La mère se retrouve donc seule avec plusieurs enfants en bas âges à élever. Les échanges qui suivront faisaient état d’une polygamie encore répandue, mais il arrive aussi que les femmes cherchent à avoir des enfants pour la pension alimentaire versée par les pères.
Sur les 3.900 mineurs isolés recensés par l’INSEE en 2012, la moitié sont de nationalité française, et, fait inquiétant, « un quart ont moins de 6 ans ». Si 2.600 vivent peu ou prou avec un membre de la famille, 1.000 peuvent indiquer un adulte référent, 380 vivent sans adultes, dont 200 tout seuls. Un reportage diffusé par la Protection judiciaire de la Jeunesse expliquait que certains jeunes peuvent rester nuit et jour en dehors de chez eux, au milieu d’autres jeunes, sans personne pour s’inquiéter de leur devenir, « c’est souvent une bouche de moins à nourrir ».
Plus de la moitié de mineurs du territoire sont membres de familles où le travail est absent, un taux qui monte à « 80% pour les familles monoparentale, et à 90% pour les familles monoparentale étrangère. »
Et l’élévation par l’éducation fonctionne peu, « un titulaire du Bac sur cinq est en situation d’illettrisme à Mayotte ». Ce qui faisait réagir le substitut du procureur de Saint Denis (La Réunion), « comment peut-on être illettré et avoir le Bac ?! » Préférant le politiquement correct dans sa réponse, Jamel Mekkaoui invoquait un « désapprentissage rapide après la scolarisation », en raison d’une « langue non vernaculaire qu’est le français, non parlé à la maison ».
La coopération pour rapprocher les enfants de leurs familles
Pour les invités extérieur, la touche historique et géopolitique était donnée par Soula Saïd-Souffou, l’actif DGS d’Acoua et écrivain, « Mayotte est comme une lumière au milieu du chaos », métaphore évoquant « l’instabilité des pays riverains qui impactent la situation de notre département ». Il appelait donc à « dépasser le différend territorial », pour se lancer dans la coopération régionale, « en établissant une relation de confiance avec les acteurs infra-étatiques de la région. » Et à Mayotte, à anticiper les politiques publiques, actuellement déficientes en santé, éducation et logement, « nous serons 500.000 habitants à l’horizon 2050, selon l’INSEE. »
Si la politique de protection de l’enfance est encore sous-dimensionnée à Mayotte, Antoissi Abdou-Lihariti, directeur de l’ASE, expliquait le rattrapage en cours, grâce aux moyens de l’Etat, « des millions qui ne dorment pas mais le montage des dossiers prend du temps » : 600 enfants placés, 123 assistants familiaux pour environ 400 places, « 13 sont encours de recrutements, 23 assistants socioéducatifs, « mais nous en cherchons d’autres », 3 Lieux de Vie et d’Accueil, 10 aides à domicile. Et en perspective, deux appels à projets en cours pour 2 Maisons d’Enfants à Caractère Social, et pour la prévention spécialisée, une prise en charge en cours pour des jeunes majeurs, le déploiement de structures d’accueil pour de jeunes mères, etc. Du côté des adoptions, seuls deux agréments ont été donnés en 2018, « une Commission sera mise en place pour les faciliter ». A signaler, un appel à contributions en attente de réponses, sur « Famille et enfant et la place des institutions à Mayotte. »
C’est avec un documentaire diffusé notamment à l’Ecole nationale de la Magistrature, portant sur les activités de la Protection Judiciaire de la jeunesse (PJJ), que sa directrice Liliane Vallois clôturait la matinée, après avoir évoqué quelques chiffres sur son action : 850 jeunes suivis, après être passés devant le juge : « Nous mettons en œuvre la réponse pénale auprès d’une population démunie, pour aider les jeunes à changer de parcours de vie. ET la plupart de ceux qui ont été pris en charge ne réitère pas dans la délinquance. » Elle évoquait une « situation de partenariat exemplaire avec le Département, en toute transparence ».
Les rencontres se poursuivent ces mercredi et jeudi, avec des interventions de personnalités comme Jean-Pierre Rosenczveig, président du Tribunal pour enfants de Bobigny, Pierre Verdier, avocat au barreau de Paris. A ne pas manquer. C’est à Dembéni, au Centre universitaire, dans la nature, avec une restauration prévue.
Anne Perzo-Lafond
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