En préférant le terme de « toilettage » au terme trop connoté de « révision institutionnelle », le président du Conseil départemental Soibahadine Ibrahim Ramadani s’inspirait de l’ancien député Ibrahim Aboubacar, qui fut le premier à s’opposer au libellé du référendum du 29 mars 2009 : « Approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée département régie par l’article 73 de la Constitution et exerçant les compétences dévolues aux départements et Régions d’outre-mer ? ». Département oui, mais jamais Région jusqu’à présent. Il fallait encore la conquérir.
Avec le terme de « toilettage institutionnel », le président espérait sans doute provoquer un débat serein. Il ne se doutait pas à l’époque de l’ampleur, « du tumulte », comme il le dira, que cela allait susciter.
Désormais, cette évolution de Mayotte est ancrée dans deux propositions de loi qui respectent, « à la virgule », nous avait indiqué le sénateur Thani Mohamed Soilihi, les demandes de l’exécutif actuel. Les deux hommes les présentaient ce mardi aux médias, l’une portant sur l’évolution de Mayotte en « Département-Région », l’autre organique, c’est à dire, modifiant certains articles de loi antérieur.
La symbolique était doublement respectée ce mardi 29 janvier : c’est solennellement dans l’hémicycle du Conseil départemental, c’est à dire le lieu où sont votés les rapports qui régissent la vie du Département, que les journalistes locaux étaient conviés pour entendre la mouture du futur cadre statutaire de Mayotte. Et c’est dans ce même hémicycle que Thani Mohamed Soilihi et Soibahadine Ramadani avaient été hués par une foule hystérique, lors de la mobilisation sociale de février 2018, qui les avait expulsés de l’hémicycle. Un an après, personne aux alentours pour protester.
« L’île restera un département 73 »
Le président Soibahadine revenait donc tranquillement sur la schizophrénie qui guettait le petit département de Mayotte, à l’heure où la loi NOTRe place la Région en chef de file des collectivités territoriales : « Comment faire à l’heure de la mondialisation et des fonds européens que nous allons gérer, du Schéma d’aménagement Régional, du Plan pluriannuel d’investissement, pour mener à bien des infrastructures dont nous n’avons pas concrètement les compétences et les financements. On nous demande de remplacer le mot ‘région’ dans les textes de lois par ‘département’ pour Mayotte, ce qui aboutit sur un vide de moyens. » La première dotation-Région est tombée en 2017, « 804.000 euros ! En étant vulgaire, on pourrait appeler ça un ‘foutage de g….. !’ », lançait le pourtant modéré sénateur, et votée par les élus « pour entériner l’injustice et demander plus ensuite ».
Le combat mené par le président Soibahadine passait par l’organisation il y a deux ans, d’un grand colloque qui devait aboutir sur une « loi Mayotte »… Nous y sommes. A l’époque, l’avocat Laurent Tesoka, Maître de conférence Habilité à Diriger des Recherches et Directeur de l’Institut de Droit d’Outre-mer, présent ce mardi dans l’hémicycle, avait déjà rassuré à l’heure de renommer le « département » : « Quelque soit la future dénomination de Mayotte, l’île restera département, sera toujours soumise à l’article 73 de la Constitution, et au droit commun français ». Pas de crainte de bascule donc vers l’article 74, à la procédure législative allégée.
L’objectif de ce réajustement, est aussi de « parachever la départementalisation, notamment pour les droits sociaux qui ne sont qu’à 40% du niveau national ». Une fois les ressources régionales engrangées, « d’autres compétences devront être clarifiées », inscrites au projet de loi, « le port, avec la volonté d’un Grand Port Maritime, mais qui demandera des négociations préalables », commente Thani Mohamed Soilihi, le STM, avec une cogestion, du préfet et du département, les routes nationales, etc.
« Nous avons beaucoup d’intellectuels ici ! »
L’ancien président Zaïdani avait déjà proposé une évolution pour tendre vers la compétence Région, mais partielle. Thani Mohamed Soilihi donnait les grands axes du texte : « J’ai inscrit dans le projet de loi le nouveau nom de ‘Département-Région’ pour Mayotte, qui sera désormais doté avec ces nouvelles fonctions, de 51 conseillers départementaux, répartis sur les 13 circonscriptions-cantons*. Toute modification par amendement est possible. » Un « Congrès des élus », pour débattre des textes du territoire, est demandé.
Les élections se feront en mode de scrutin de listes, comme les Régionales en France, avec prime majoritaire (la moitié des sièges) pour la liste ayant obtenu le plus de voix.
Souriant et détendu le président du CD, mais celui sur lequel tout mécontentement glisse comme une savonnette, revenait quand même sur les critiques dont il fut l’objet : « ‘Le président du conseil départemental est un serrez-la-main’, ai-je entendu, mais c’est vrai que nous avons beaucoup d’intellectuels ici ! » S’il reconnaît un déficit d’explication de son côté, il parle « d’amalgame avec la feuille de route franco-comorienne », et de « psychose ». Son directeur de cabinet Ousseni Ahamada rappelait les craintes de calquer « le schéma de département ayant voulu basculer en collectivité unique » pour plus d’autonomie, comme la Martinique ou la Guyane.
Mince fenêtre au Sénat
Mais pour Thani Mohamed, si « certains étaient de bonne foi », le « climat de suspicion a été orchestré et entretenu par des intellectuels, qui trouvaient là une volonté d’exister » et ont « fait de l’intox. Auront-ils un jour le courage de se présenter devant les urnes ? »
Pour passer, le projet de loi aura besoin d’un véhicule législatif, mais la fenêtre est mince au Sénat pour parvenir à une adoption un an avant les élections, comme l’exige la loi. Il pourrait faire plutôt l’objet d’un texte adopté sous forme d’amendement d’un texte du gouvernement. Une mission interministérielle arrive la semaine prochaine à Mayotte.
« En tout cas, réjouissons-nous que depuis quelques années, il y ait une production locale à Mayotte, nous n’attendons pas toujours que les choses viennent de Paris », concluait le sénateur.
Anne Perzo-Lafond
* 51 n’étant pas divisible par 13, un canton n’en aura que 3. C’est pour l’instant Pamandzi, « à la fois canton-commune », mais cela peut changer
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