“A Mayotte, les habitants parlent shimaoré”. Nombre d’arrivants ont déjà entendu ça au moins une fois, un raccourci injuste pour le kibushi, deuxième langue locale du territoire. Une langue, qui plus est, intéressante à plus d’un titre. D’abord parce que cette langue autronésienne est parlée dans de nombreux villages de Mayotte, du nord à Acoua au sud à Kani-Keli en passant par Chiconi et des zones plus urbaines comme M’tsapéré. Ensuite parce que, à l’instar du shimaoré, le kibushi n’est pas unique. Si chaque village peut être tenté de se revendiquer du “vrai” kibushi, il en existe en fait deux variantes, le sakalava et l’antalautsi. L’un, plus fidèle à son étymologie malgache, l’autre, davantage influencé par les échanges extérieurs, intégrant des bases d’arabe, d’anglais, de français, de portugais ou encore de swahili. Enfin, Mayotte est le seul territoire au monde où on parle un dialecte malgache en dehors de la Grande Île.
Comme pour le shimaoré, il a donc été jugé indispensable de préserver la richesse culturelle que représente cette langue à Mayotte. Pendant deux jours, des spécialistes, notamment des linguistes, ont planché pour tenter de définir une graphie, une écriture standardisée, pour le kibushi. Avec les mêmes défis qu’en décembre pour le shimaoré, à savoir comment écrire des sons qui n’existent pas en français, en utilisant l’alphabet latin.
Des propositions ont été faites, et on ne s’attardera pas sur les caractères peu usuels qui sont suggérés. Mais à la fin, l’usage triomphera. En effet, le Conseil Départemental devra dans un premier temps valider en séance plénière la graphie proposée, mais dans un second temps, une opération d’analyse des réseaux sociaux à Mayotte permettra de déterminer quelle est l’écriture que les usagers privilégient une fois devant leur clavier. Cette phase donnera lieu à une nouvelle graphie, collant davantage à l’usage. Le même type d’observatoire des pratiques a été annoncé pour le shimaoré.
L’enjeu à terme est d’avoir une norme officielle, première étape pour reconnaître ces langues comme langues régionales, et pouvoir les enseigner à l’école.
Outre le travail mené sur ces deux langues, le Département poursuit sa volonté d’inscrire Mayotte dans un contexte culturel plus vaste, en centralisant les richesses de la région. Ainsi, les élus du département devraient prochainement voter pour la création d’un Institut des langues et cultures régionales. Sa création sera “la suite logique des tables rondes qui ont eu lieu en décembre” indique Haladi Madi, docteur en sciences du langage.
“Son but sera d’insérer Mayotte dans sa région” poursuit-il. Trois pôles composeront la structure qui sera installée dans les nouveaux locaux des Archives Départementales, un pôle recherche, un pôle formation et un pôle valorisation. La création de cet Institut, dont la forme juridique et le mode de financement restent à préciser, est notamment soutenue par l’Education nationale. Le recteur Stephan Martens se dit “très intéressé” par l’idée, qui rejoint le projet de ses services d’une conférence internationale sur le canal du Mozambique. “L’institut sera un bel outil” prédit-il.
Des propos qui rejoignent aussi ceux tenus le 20 mars par Ramlati Ali, députée LREM de Mayotte, sur le plateau de France 24. Elle y qualifiait également les langues locales de “richesse culturelle”, dans le cadre de la journée de la Francophonie.
Y.D.
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