QPC. Ces initiales ne vous disent peut-être rien. Mais la Question prioritaire de constitutionnalité est une arme redoutable pour les avocats. Cette procédure, a été créée en 2008 et est en vigueur depuis 2009. Elle permet à un avocat de mettre en doute la constitutionnalité d’une loi, et de la faire réexaminer par la Cour de Cassation, qui peut à son tour la soumettre à la Cour Constitutionnelle.
Pour bien comprendre, un petit rappel… à la loi. Le délit de favoritisme, aussi appelé « atteinte à la liberté d’accès ou à l’égalité des candidats dans les marchés publics » est défini par l’article 432-14 du Code pénal qui prévoit qu’il est « puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d’économie mixte d’intérêt national chargées d’une mission de service public et des sociétés d’économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l’une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public. »
Un texte lourd et vague, qui laisse assez de marge d’interprétation pour pouvoir traîner en justice presque n’importe quel élu ou responsable, qui n’aurait pas respecté à la lettre les règles des marchés publics. Or, ceux-ci étaient jusqu’à avril 2016 régis par un code entièrement réglementaire, c’est-à-dire qu’il n’était pas passé par le Parlement, et particulièrement complexe.
Par ailleurs, le texte ne fixe pas de nuance claire entre ce qui est un délit de favoritisme, puni pénalement, et ce qui est une erreur qui relève du juge administratif. Il s’agit en somme pour Me Jorion, avocat de Daniel Zaïdani, d’un « article décrit comme une machine à condamner les élus » utilisé dans ce cas comme « vengeance politique de la nouvelle équipe arrivée à la tête de la SPL ». En clair, l’avocat estime que Bichara Payet a utilisé cette loi pour faire tomber l’ancien président du Conseil Départemental.
Mais en quoi cela est-il anticonstitutionnel ?
Selon l’avocat, « le législateur doit fixer le champ d’application de la loi pénale », c’est le principe de la légalité de la justice et des peines. Or cette loi est trop vague selon lui. En outre, le code des marchés publics étant réglementaire, « ce n’est pas le législateur qui a défini cette infraction » soulève le juriste spécialisé en droit administratif.
Le législateur doit ainsi en théorie « définir de manière explicite les crimes et délits pour éviter l’arbitraire ». Avec une loi sujette à interprétation, le risque est donc de rendre une justice arbitraire, donc, contraire à la constitution.
En outre, une QPC ne peut être déposée deux fois pour un même texte. Or, le site du conseil constitutionnel indique que la loi a déjà été examinée. Ce qui explique qu’aucun avocat n’ait eu l’idée de soulever de QPC plus tôt. Mais pour Benoît Jorion, la haute cour n’a pas motivé sa décision de valider le texte, son avis ne serait donc pas incompatible avec une QPC. « Quand on voit la loi déclarée conforme, on ne va pas plus loin, commente l’avocat, mais le droit, c’est aussi creuser, être imaginatif » poursuit ce passionné des textes de loi avec des étoiles dans les yeux, pas peu fier d’avoir déniché cette faille.
Et les conséquences peuvent être notables à l’échelle nationale. Entre 2006 et 2014, le juriste a relevé plus de 350 condamnations définitives au titre de cette loi.
Le parquet de Mamoudzou n’a pas émis d’opposition à la QPC, et le tribunal a donné droit à l’avocat de Daniel Zaïdani, considérant la requête comme recevable.
La loi sera donc examinée par la Cour de Cassation, puis éventuellement par le Conseil Constitutionnel. Si ce dernier n’invalide pas le texte, Daniel Zaïdani sera jugé le 30 octobre prochain aux côtés de Andrianavélo Saïdi Issouf, ex dirigeant de la SPL 976 poursuivi quant à lui pour avoir indûment perçu deux mois de salaire. Dans une autre procédure, ce dernier réclame quant à lui 6 mois de salaire à la société. La décision sur ce volet sera rendue le mois prochain, et devrait nourrir les débats en octobre.
Y.D.