Le 27 avril 1846, l’esclavage était aboli à Mayotte, deux ans avant le reste de la France. C’était donc naturellement la date à retenir pour commémorer l’esclavage dans notre département. Mais cette mesure en avance sur son temps n’a pas mis fin à l’exploitation des êtres humains à Mayotte, et cette histoire oubliée a laissé des traces.
« L’esclavage à Mayotte et dans sa région, du déni mémoriel à la réalité historique » est le livre commandé par le Conseil Départemental pour briser les tabous liés à cette période, les démystifier, et les éclairer d’un panel de regards scientifiques.
Selon le conseiller départemental Bouhrane Allaoui, « la question de l’esclavage reste assez taboue ». En raison d’un manque de traces écrites et d’une culture orale qui a peu à peu effacé, puis nié ce passé, l’imaginaire collectif en a fait un déni profond. Aujourd’hui, « il est impensable pour le Mahorais de souche d’admettre qu’il est descendant d’esclaves, alors que l’identité mahoraise est en partie façonnée par l’esclavage » poursuit l’élu, qui représentait le président Soibahadine, toujours en convalescence.
Déplorant « une perte d’intérêt de la population pour ce sujet », il appuyait l’idée que « la connaissance de l’histoire de Mayotte pour les jeunes générations est indispensable ».
Devant lui, quelques dizaines de lycéens étaient venus assister au lancement de l’ouvrage.
« Dans une société dominée par la tradition orale, il était important de donner un visage à tous les hommes, femmes et enfants dont l’humanité et la dignité ont été niées. Le temps est venu pour les Mahorais se s’approprier leur histoire, poursuit-il. »
Si l’histoire de l’esclavage à Mayotte est si particulière, c’est en raison d’une histoire unique dans les territoires français. Le préfet Dominique Sorain, qui a été préfet de La Réunion, dresse le parallèle. « La Réunion était une île non peuplée, qui s’est développée avec la traite négrière. Ici à Mayotte, on est dans une situation différente, ,avec une histoire plus ancienne, bien antérieure à l’arrivée des Européens. C’est ce qui fait que Mayotte ne ressemble à aucun autre territoire. »
Des siècles d’échanges commerciaux mais aussi de traite d’esclave ont précédé l’arrivée des Français, de la part de commerçants arabo-musulmans, mais aussi de tribus africaines ou malgaches.
« C’est pour échapper à ces razzias que Mayotte est devenue française » rappelle le préfet.
« L’histoire de l’Atlantique domine, mais il n’y a pas que le ‘méchant blanc’ qui a pratiqué l’esclavage, il y a des Africains aussi » appuie Inssa De N’Guizijou M’Dahoma, un des historiens qui ont participé à la rédaction du livre.
En 1846, alors que Mayotte compte à peine 3500 habitants dont un tiers d’esclaves, la France affranchit ces derniers et met fin à l’esclavage dans l’île. Dès lors, une autre forme d’exploitation est inventée, non sans cynisme. « Il y a eu la création d’une économie, l’engagisme, qui ressemble beaucoup à de l’esclavage, avec des conditions sanitaires désastreuses » rappelle encore Dominique Sorain.
L’engagisme, c’est le sujet abordé dans le livre par Michel Charpentier, président des Naturalistes et agrégé d’histoire. « Comme la France avait l’ambition de faire de Mayotte une colonie sucrière, une solution pour attirer de la main d’œuvre était d’abolir l’esclavage, explique-t-il. Mais les affranchis n’ont pas voulu travailler dans les plantations de canne. » Des engagés ont donc été recrutés depuis le reste des Comores, et d’Afrique. « Un gros contingent d’engagés venait de la côte du Mozambique de la tribu des Makwas, qui pour la plupart étaient des esclaves du sultan d’Anjouan qui les proposait aux Français comme travailleurs libres. »
L’engagisme n’était donc pour beaucoup qu’une nouvelle étape de leur vie d’esclave. En témoigne la répression féroce au soulèvement des engagés en 1856. Mais à l’issue de leur contrat, la plupart d’entre eux a décidé de rester à Mayotte comme citoyens libres. A la fin du XIXe siècle, ils représentaient 4200 habitants. Ainsi, « la population originaire de ce trafic d’esclaves constitue aujourd’hui une des strates de la population mahoraise » analyse Michel Charpentier qui tord ainsi le cou à une idée reçue selon laquelle les Mahorais n’auraient pas ou peu d’origines africaines. Le livre rentre d’ailleurs plus en détail dans les pratiques culturelles, aujourd’hui considérées comme typiquement mahoraises, mais bel et bien héritées de cette période sombre de l’histoire.
Le livre est disponible pour la somme de 20€ auprès des Archives départementales de Mayotte.
Y.D.