En se rendant à Mayotte avec un agenda axé sur l’immigration clandestine, le président de la République savait qu’il marchait sur des oeufs. Depuis 2016, Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national s’est rendue deux fois dans le 101e département français, et deux fois, elle y a reçu un accueil triomphal. A quelques mois des municipales, il était donc important pour le Président de rattraper le tir. D’où le message de fermeté réaffirmé par le chef de l’Etat dans ses discours répétés. Il était tout aussi important pour lui de de distinguer de l’extrême droite en pondérant son discours d’un appel à éviter la haine. “L’ennemi n’est pas de l’autre côté de la mer” a-t-il martelé, invitant à “dépassionner” la relation franco-comorienne.
En s’éloignant du sujet principal de sa visite pour faire des annonces phare sur le port de Longoni ou l’allongement de la piste de Pamandzi, il s’est aussi assuré une réaction favorable de la population, tant à Mamoudzou qu’à Mtsamboro, où le RN avait enregistré de très bons scores aux Européennes.
La présidente du Rassemblement national s’est-elle sentie menacée sur ses plates-bandes par cette opération séduction du président de la République ? Toujours est-il que dès le lendemain, le parti d’extrême droite se fendait d’un communiqué offensif, qui rappelle l’enjeu électoral de la visite présidentielle, et accuse le Président d’avoir “menti aux Mahorais”.
Un communiqué offensif
“Engagé dans ce qui ressemble de plus en plus à une campagne présidentielle, Emmanuel Macron, en déplacement à Mayotte, a promis aux Mahorais de lutter contre l’immigration clandestine.
Cependant, une simple lecture du Projet de loi de finances pour 2020 et de la « Mission Immigration, asile et intégration », permet de constater que le gouvernement, non seulement, ne prévoit pas d’augmenter le budget dédié à la lutte contre l’immigration clandestine, mais pire que cela, prévoit même de le diminuer de 25% !
Le président de la République a donc menti aux Mahorais !
Le Rassemblement National réaffirme tout son soutien aux Mahorais, et sa détermination à lutter efficacement contre l’immigration clandestine. Pour ce faire, le RN propose la suppression du droit du sol et l’expulsion automatique des clandestins.”
Toutefois, ce communiqué est à prendre avec un peu de recul. En effet, les propositions qui y sont évoquées ne sont pas nouvelles. La suppression pure et simple du droit du sol est contraire à la constitution. La droite s’y est déjà cassé les dents en tentant de l’amender à Mayotte, et il a fallu au sénateur Thani beaucoup de précautions pour que son amendement franchisse le conseil constitutionnel, sans remettre trop en cause le principe d’unité de la République.
“L’expulsion automatique des clandestins” est elle aussi une mesure discutable. D’une part parce que c’est déjà ce qui est pratiqué lors des interceptions de kwassas-kwassas, et des contrôles à terre. A l’exception des sans-papiers interpellés mais ayant des arguments à faire valoir. Si les procédures montrent parfois des couacs, le droit français est censé assurer un certain nombre de garde-fous. Les supprimer exposerait l’Etat à encore plus d’erreurs de procédure, comme des “reconduites” de Mahorais n’ayant pas leurs papiers sur eux.
Un budget en hausse ou en baisse ?
Enfin, le communiqué affirme que le projet de lois de finance pour 2020 prévoit de baisser le budget consacré à la lutte contre l’immigration “de 25%”. Là encore, la formulation mérite qu’on s’y penche. Si on consulte ce projet de loi budgétaire, on constate qu’en 2020, le budget dédié à l’immigration et l’intégration est en hausse de 200 millions d’euros. Les années suivantes semblent indiquer une contraction de ce budget mais qui serait plutôt liée à l’inflation.
Dans le détail du projet de loi finance pour 2020, on constate en effet une baisse de la ligne précisément consacrée à la “lutte contre l’immigration irrégulière”, mais une hausse du budget consacré au droit d’asile. Il s’agit vraisemblablement des annonces relatives au traitement plus rapide de l’examen des demandes auprès de l’Ofpra. On constate donc bien une hausse du budget global, mais une baisse des fonds consacrés à la LIC.
Attention toutefois, ces lignes budgétaires sont données à un niveau national, et n’indiquent donc en aucun cas une réduction des moyens à Mayotte. L’accusation du RN n’est donc factuellement pas fausse, mais formulée de manière trompeuse.
Y.D.