« Quand je regarde la télé et que je vois comment mes frères mahorais se conduisent en se regroupant, ça m’inquiète ! Mayotte est petite, les habitants doivent respecter le confinement. Ici en métropole, je sors pas et mon enfant non plus. J’ai peur pour ma mère et mes frères qui sont à Mayotte, car ici en métropole, il y a beaucoup de morts. Je veux surtout leur dire que “uwo tsiwade wa mzungu tu””, “c’est pas une maladie de mzungu”. Houmadi Mouhidine nous a appelé plusieurs fois pour être sûr que son message serait relayé. Agent de la mairie de Montreuil, incroyable coïncidence puisque son ancienne patronne n’était autre que Dominique Voynet, il s’inquiète pour sa famille.
Il se justifie par les photos de murengue (combat sportif) qui circulent, rassemblant jusqu’à une centaine de personnes ce week-end à Mtsapéré, pour la seconde fois en une semaine. Les files compactes dans les supermarchés sont un signe que le déconfinement s’il n’est pas officiellement acté, est effectif pour une partie de la population.
Il faut s’en inquiéter, car si le modèle épidémiologique de l’ARS donne un pic le 20 mai dans le cas d’un déconfinement allégé le 11, avec le laisser aller actuel, il faut l’anticiper de plusieurs jours et il ne devrait pas tarder, à moins qu’il soit en cours.
La dangereuse soupape Ramadan
Si le nombre de patients admis en réanimation peut le supporter, pas de problème, nous aurons simplement un temps d’avance sur le modèle de « confinement-déconfinement » que va mettre en place le gouvernement et qui suivra la courbe des admissions en réanimation. Ici, le plafond maximum avoisine les 20 à 30 lits nous dit Dominique Voynet.
Mais si ce n’est pas le cas, et que les services sont engorgés, se pose un problème de taille : étant donné que ce déconfinement qui ne porte par son nom a été décidé par une partie de la population, comment les réguler et leur imposer un confinement qu’ils ne respectent pas.
Premièrement, il faut, et c’est une condition préalable, que nos autorités parlent d’une même voix. Or, c’est la cacophonie. Du côté de l’Education nationale, on entend parler le recteur Gilles Halbout de rentrée scolaire progressive à partir du 14 mai, suivant les préconisations du ministre Jean-Michel Blanquer qui note jusqu’à 25% de décrochage scolaire dans les Outre-mer. Du côté de l’ARS, Dominique Voynet envisage un confinement jusqu’à fin mai avec un allégement que l’on pourrait qualifier de « soupape Ramadan » : « A la condition de se laver les main et de porter un masque, on peut apporter un plat à son voisin, et les jeunes peuvent pratiquer un sport », expliquait la directrice de l’ARS au JT de Mayotte la 1è jeudi dernier. Mais c’est un message totalement contraire que porte le préfet Jean-François Colombet qui invite tout au long de 7 clips tournés sur les consignes Ramadan, à « ne pas rendre visite aux voisins et à la famille, et à rompre le jeûne avec les membres de son foyer ». Et interdit l’absence de rassemblement lors des prières. On imagine que cela s’applique aussi aux pratiques sportives.
Adapter le message de confinement
Tant qu’une parole unique ne sera pas portée, et elle sera vraisemblablement donnée ce mardi à la suite des consignes gouvernementales sur le confinement, on voit mal comment avoir prise sur une population dont une partie ne respecte plus les consignes.
Il faut ensuite faire un travail sérieux d’identification des « têtes brulées » qui forcent le confinement pour porter un message approprié à chacun. Certains le font par nécessité. On l’a vu lors de la crise du pétrole d’un nouveau genre, avec la ruée sur le pétrole lampant, ou lors de la distribution de colis alimentaires. D’autres n’y croient pas, certains pensant que c’est une maladie de mzungus, se basant notamment sur le déni comorien. Or, ce vendredi, le président comorien Azali Assoumani a signé un décret visant à renforcer le dispositif anti-coronavirus, avec l’instauration, à compter de samedi, d’un couvre-feu de 20h à 5h, rapporte Outre-mer la 1è.
Il faut donc une communication adaptée à chacun. « Nous nous adressons à des intellectuels », déplore Chaharoumane Chamassi, président de l’association ‘A 2 mains pour les enfants’ qui a traduit une des affiches de l’ARS Mayotte en lettres arabes : « Nos grands-pères et nos grands mères qui n’ont fait que l’école coranique ne comprennent pas l’alphabet latin. Or il faut pouvoir les toucher. » Il estime que les canaux locaux de communication ne sont pas suffisamment sollicités : « Les muezzins peuvent rappeler les consignes avec leurs hauts parleurs, des patrouilles en binômes de gendarmes et de policiers municipaux pourraient informer les habitants, et contacter les organisateurs des murengue en amont. Et s’il était possible d’obtenir des dérogations judiciaires, il faudrait relever les identités de tous ceux qui ne respectent pas le confinement, photo à l’appui s’ils n’ont pas de papiers. Enfin, les jeunes respectent moins un cadi qu’un foundi du village qui avertit les parents des dépassements de leurs enfants. » Organisateur d’une distribution de bons et de colis avec respect des distances, il appelle à cadrer les distribution, « il faut approvisionner les stations de gaz pendant la nuit, pour ravitailler immédiatement les clients au matin et éviter les regroupements. »
On attend donc de connaître la stratégie à l’échelle de notre territoire, où certains ne bougent pas de chez eux, quand d’autres organisent en toute impunité des murengue facteurs de contagions.
Anne Perzo-Lafond