Tout le monde n’a pas accès au chômage partiel ou au prêt garanti par l’Etat. Le dispositif mis en place par la ministre des Outre-mer et l’Agence Française de Développement (AFD) est censé coller à la réalité des territoires ultramarins. « S’il n’y a pas de reprise économique, nous retournerons 20 ans en arrière ! », avait alerté en début de mois de mai le préfet de Mayotte Jean-François Colombet. Il avait souligné la fragilité du tissu économique mahorais, constitué majoritairement de très petites entreprises (TPE), « elles remboursent toujours les prêts d’honneur de la crise de 2018, ce qui explique le peu de succès du Prêt Garanti par l’Etat », expliquait-il au premier ministre.
Dans les autres départements d’outre-mer la situation est également sinistrée, incitant à l’adaptation des mesures. Avec « Outre-mer en commun », il ne s’agit pas d’abonder directement les trésoreries des entreprises, mais de favoriser l’accès aux prêts bancaires et de proposer des reports de remboursement d’échéances. Et surtout, d’introduire, quoique trop timidement, une notion qu’on ne peut plus laisser de côté, celle d’une croissance « inclusive et décarbonée ».
L’opération « Outre-mer en commun » propose un accompagnement des secteurs privés et publics ultramarins selon trois modalités.
L’urgence sanitaire tout d’abord. L’AFD va renforcer son appui aux réseaux régionaux de surveillance épidémiologique, elle a d’ailleurs affecté 2 millions d’euros en avril au Réseau de Surveillance et d’investigation épidémiologique de l’Océan indien. Elle entend aussi contribuer au plan de réforme et de relance des investissements annoncé par le gouvernement.
Le soutien au tissu économique ensuite. Les mesures pilotées par l’AFD portent sur le report d’échéances de 6 mois de ses prêts aux collectivités locales et aux entreprises, l’accélération des versements effectifs des financements mis en place, l’accélération de l’instruction des dossiers de prêts budgétaire aux grandes collectivités, la mise en place de prêts d’urgence d’aide à l’investissement sur 20 ans pour les collectivités ultramarines, avec 3 ans de différé et des modalités de déblocage accélérées (40% dès la signature), à partir des projets retenus dans les contrats collectivités-Etat. Un point en discussion et qu’il faudra suivre, porte sur l’octroi de lignes de refinancement pour les banques locales des outre-mer, « comme l’AFD a pu le faire après la crise financière de 2008 ». Des banques moins frileuses par la suite ? A voir.
Un préfinancement expérimenté à Mayotte
Mayotte sera terre d’expérimentation avec la mise en place « dès le second semestre 2020 » d’un dispositif de prêt de préfinancement du Fonds de Compensation de la Taxe à la Valeur Ajoutée (FCTVA) pour les communes. Petit retour en arrière. Bien que n’étant pas soumise à la TVA, Mayotte obtient comme la Guyane, de bénéficier de ce fonds de compensation de la TVA dans les années 90 pour financer des investissements, notamment grâce à un amendement de notre député d’alors, le Martiniquais Henry Jean-Baptiste. Depuis il a permis d’abonder de nombreux investissements sur l’île, on citera l’école de Koungou Maraîcher.
La mesure de « Outre-mer en commun » devrait permettre aux collectivités mahoraises d’amorcer plus facilement leurs projets d’investissement, « avec le soutien financier du Ministère des Outre-mer ». Une extension aux autres départements et régions d’outre-mer sera envisagée en 2021 si les résultats de l’expérimentation mahoraise sont concluants.
Dernière mesure économique, l’instruction d’une ligne de crédit à l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE) pour renforcer ses capacités de microcrédit en appui aux TPE ultramarines les plus fragiles. Mayotte est la championne nationale de la dynamique de la création d’entreprise grâce notamment aux préfinancements de l’ADIE.
Le 3ème axe de « Outre-mer en commun », qui mériterait de prendre peu à peu la pôle position, porte sur une relance « inclusive et décarbonée », en reprenant la marotte de la ministre sur « les trajectoires 5.0 des territoires ultramarins* », devenue diablement d’actualité avec cette crise sanitaire, sociale et économique.
Il ouvre à ce sujet un nouveau fonds « Outre-Mer 5.0 », qui permettra à l’AFD d’accompagner des programmes d’investissements publics vers une relance durable, notamment par le biais de prêts bonifiés. Elle finance également une étude sur la « Relance décarbonée et inclusive dans les territoires ultramarins ». En matière d’alternative à l’empreinte carbone, Mayotte n’est pas la meilleure élève de la classe, avec seulement 6% d’énergie alternative dans le mix énergétique. En terme d’inclusion, qui sous-entend de n’exclure personne du développement, un gros travail reste à faire, la seule statistique de 30% de foyers qui n’ont pas accès à l’eau courante, en est l’illustration.
Anne Perzo-Lafond
* Zéro carbone, Zéro déchet, Zéro polluant agricole, Zéro exclusion, Zéro vulnérabilité au changement climatique et aux risques naturels