“On peut rien y faire”. A la barre, le jeune homme, bien sapé, droit comme un i et doté d’un français impeccable, peine à cacher son malaise pour sa première comparution devant trois juges. Avec deux comparses, il était jugé en comparution immédiate pour un attroupement armé, qualification usuellement retenue pour judiciariser les affrontements à coups de pierres entre bandes.
Si ces faits sont devenus presque quotidiens du nord au sud de l’île, ceux-ci ont eu lieu en plein jour, à Mamoudzou, devant le lycée Bamana. C’était le 27 août dernier.
Face à “des gars de Mtsapéré qui viennent faire le bazar et jeter des pierres” aux lycéens, un groupe de jeunes de Doujani décide de venir “protéger les lycéens”. Le face à face dégénère en jets de pierres. “Et vous au lieu de partir ou prévenir les forces de l’ordre, vous faîtes la pire des choses, vous prenez des pierres et vous les jetez sur les autres” déplore le président Ben Kemoun, s’adressant aux trois jeunes majeurs.
L’affrontement est de courte durée, rapidement le groupe de Mtsapéré prend la fuite, et ceux de Doujani, persuadés d’avoir œuvré à la protection du lycée, attendent sagement les policiers. Ces derniers trouvent donc sur place 13 jeunes dont 9 mineurs, arrêtés “sans rébellion ni injures” et qui sont tous poursuivis pour cette énième bataille rangée qui n’a, heureusement cette fois fait aucun blessé.
Pourtant une fois de plus, les jeunes au tribunal n’ont rien de gamins des rues, de jeunes abandonnés ou livrés à eux-même. L’un d’eux vient même d’avoir son bac avec mention et étudie en BTS. Mais alors qu’est ce qui peut expliquer ces délits insupportables ?
Sans doute leur fatalisme, et la conviction qu’il y a, entre quartiers, des “frontières” qu’il leur appartient de faire respecter.
“Quand tu passes la frontière [de Doujani NDLR], soit tu pars en courant, soit ils t’attrapent et te tapent” explique ainsi un des prévenus, rejetant sur l’autre quartier la responsabilité des rixes. “On se connaît tous depuis tout petits, si un de nous a un problème, je vais pas le laisser tout seul se faire tuer” argue un autre pour justifier ces rassemblements armés à répétition.
Œil pour œil donc ?
“Vous jetez une pierre, vous blessez quelqu’un, ils vont se venger, alors vous allez prendre un chombo, c’est ça qui est pénible, on attend quoi ? Vous vous rendez compte qu’on peut blesser quelqu’un avec une pierre ? A un moment où à un autre il faut bien que les plus intelligents s’arrêtent” tente de leur faire comprendre un des juges. Et de préciser pourquoi tous se retrouvent devant la justice : “Il suffit dans un attroupement qu’un seul soit armé pour que tous les autres soient réputés armés”. C’est le principe de la commission en réunion.
Quand le fatalisme devient fatal
Le procureur Folliet explique à son tour avoir sur son bureau “plein d’affaires d’appels pour des jeunes de Doujani, Mtsapéré, Kawéni, qui marchent dans la rue avec des chombos ou des barres à mine. Ma dernière affaire, c’est un jeune dont la main pendait à cause d’un coup de chombo. Un homme de Doujani est mort à cause de ces disputes de territoire. Vous trouvez pas ça bête ?”
“On n’y est pour rien dans cette affaire” ose un des jeunes.
“Vous participez à tout ça !” réplique le substitut.
Face à ces jeunes qui ne sont ” pas des délinquants chevronnés”, le magistrat du parquet déplore ce fatalisme qui détruit des vies.
“Ces messieurs inspirent une belle dose de fatalisme, ils se voient forcés de se munir d’arme, parlent d’une ville fractionnée en territoires, on serait face à quelque chose d’insoluble, ils seraient contraints de recourir à la violence pour répondre à des agressions et inévitablement il y aurait des blessés et des morts. Je peux comprendre que la situation mahoraise soit spécifique, mais on ne peut pas se résigner et dire que ça ne changera jamais. Même en voulant se défendre, eux aussi se baladent en bande. Le cycle de la vengeance privée ne crée que des malheurs. Là vous gâchez la vie des autres mais aussi votre vie” scande-t-il.
Tous les trois ont accepté une peine de 70h de travail d’intérêt général en guise d’alternative à la prison. Les 9 mineurs eux, sont jugés séparément pour les mêmes faits.
Y.D.
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