256 500 habitants en 2017. Ce chiffre aura fait couler bien de l’encre, tant il a été décrié, d’aucuns n’hésitant pas à affirmer que la population de Mayotte devait être du double. Ce sera peut-être le cas en 2050, puisque selon les migrations, “entre 440 000 et 760 000 habitants vivraient à Mayotte [à cette date] selon différents scénarios étudiés” indique l’Insee. Mais pour l’heure, il est raisonnable de mettre en perspective ce chiffre avec la superficie de notre île, relativement petite avec ses 374km². Les données de l’Insee donnent donc une densité de population qui atteint “690 habitants au km2, Mayotte est le département le plus dense après Paris et cinq autres départements d’Île-de-France” indique l’Insee. Pourtant Mayotte ne compte pas de logements en hauteurs, pas de barres ou de tours de HLM, pas non plus de grands boulevards. Notre île reste forestière et rurale, et la multiplication des logements précaires ne fait pas encore du 101e département une île urbaine, loin s’en faut.
Si le facteur migratoire est important pour estimer la population d’ici 30 ans, et si l’estimation varie autant, c’est que les migrations sont un pan majeur de la société mahoraise. On parle bien sur beaucoup d’immigration, souvent clandestine, et si 50% de la population est de nationalité étrangère, ce n’est pas un hasard. Mais il y a aussi des arrivées régulières et surtout, de nombreux départs, notamment vers La Réunion et la métropole.
“D’un côté, de nombreux adultes et leurs enfants arrivent des Comores. De l’autre, de nombreux jeunes de 15 à 24 ans, natifs de Mayotte, partent vers le reste de la France, essentiellement en métropole” indique l’Insee. Le solde migratoire n’en reste pas moins positif, avec environ 1100 habitants de plus chaque année issus de l’immigration. Les naissances de mères résidant à Mayotte s’élèvent à quelque 9700 en 2019, portées par les mères étrangères. Ainsi, un étranger sur trois vivant à Mayotte, y est né.
Cette natalité élevée participe donc grandement à l’augmentation de la population, d’autant que la démographie galopante n’est pas contrebalancée par la mortalité, qui est la plus faible de France. “Du fait de la jeunesse de sa population, Mayotte est le département français où le nombre de décès par habitant est le plus faible” indique l’Insee. Toutefois, Mayotte est aussi le département où le nombre décès par tranche d’âge est le plus élevé !
Cette dernière donnée est sans doute à mettre en corrélation avec l’immense pauvreté qui gangrène l’île. 40% des logements de l’île sont des cases en tôle, et elles abritent 65% des étrangers qui habitent ici. Un logement sur trois n’a pas accès à l’eau courante, ce qui représente 85 000 habitants. 10% n’ont pas non plus l’électricité.
Migrations, pauvreté et habitat indigne sont corrélés également selon l’Insee qui constate que “les difficultés sont les plus marquées dans 16 villages : leurs 58 000 habitants doivent faire face en 2017 à des conditions de vie rudimentaires et qui se sont nettement dégradées depuis 2012. Dans ces villages, la croissance démographique a été particulièrement forte et l’habitat en tôle a beaucoup progressé. “
L’économie, elle aussi en pleine mutation, est liée à la paupérisation de l’île, et la démographie n’y est pas pour rien. On compte à peine “un emploi pour trois adultes, en 2018 comme en 2009” à Mayotte.
“Si cette situation est inchangée par rapport à 2009, les créations d’emplois ont été importantes ces dix dernières années, notamment dans la fonction publique d’État. Le secteur marchand offre en revanche toujours peu d’emplois, alors que la population en âge de travailler progresse fortement.”
Avec un chômage fort, un secteur marchand à la peine et une fonction publique qui injecte diverses primes, Mayotte est marquée par des inégalités sociales croissantes.
“Le niveau de vie médian des habitants de Mayotte est six fois plus faible que celui de métropole. Il baisse par rapport à 2011, alors qu’il avait nettement progressé auparavant. Les écarts de niveaux de vie entre les plus aisés et les autres, déjà élevés en 2011, se sont encore accrus. D’un côté, le niveau de vie plafond des 40 % les moins aisés est 20 % plus faible qu’en 2011. De l’autre, le niveau de vie plancher des 10 % les plus aisés a augmenté de 50 %.”
Or, portés par le pouvoir d’achat des plus aisés, les prix à la consommation sont eux aussi très élevés, et nombre de produits sont ainsi interdits aux plus précaires.
“En 2015, l’écart de prix mesuré entre Mayotte et la métropole atteint 6,9 % (hors loyers). Cet écart résulte de deux visions des modes de consommation. D’un côté, consommer le panier moyen mahorais en métropole coûte 2 % plus cher. De l’autre côté, si un ménage métropolitain effectue ses achats habituels à Mayotte, il débourse 16 % de plus qu’en métropole. Pour acheter ses produits alimentaires, il doit même payer 42 % plus cher. Les communications et la santé sont également plus coûteuses à Mayotte, tandis que le coût du transport est proche de la métropole. En revanche, certains services, l’eau et l’électricité, sont moins chers à Mayotte.”
Pourtant, même les plus précaires consomment, et l’on peut s’étonner qu’ils pèsent si peu dans l’économie globale. C’est à mettre sur le compte de l’économie informelle, estimée à “5 300 entreprises informelles, inconnues de l’administration fiscale” et qui génère “peu de richesses.
En effet, les entreprises informelles représentent ” deux tiers des entreprises du secteur marchand non agricole et non financier. Elles réalisent 114 millions d’euros de chiffres d’affaires et contribuent à 9 % de la valeur ajoutée générée par l’ensemble des entreprises mahoraises”. Les entreprises informelles jouent un rôle double. D’un côté, s’affranchissant des cotisations sociales, elles offrent produits et services à bas coût pour le consommateur, d’un autre, elles fournissent des revenus à des familles, nombre d’entreprises étant familiales, qui sans cela pourraient avoir besoin d’aides sociales. En revanche, l’informel se joue à contre-courant du contrat social et, privant la collectivité de cotisations dues, participe au fait que les aides soient moins élevées ici que dans le reste du pays. Le serpent se mord donc la queue. C’est pour cela que la préfecture a mis le paquet sur la lutte contre l’économie souterraine, avec une brigade dédiée installée à Kawéni et d’importantes amendes administratives délivrées sur les chantiers non déclarés.
Si ce tableau peut paraître sombre, il ne suffit pas, et c’est assez important pour le souligner, à donner de Mayotte une mauvaise image à ceux qui la connaissent. Ainsi les habitants de l’île sont nombreux à y recevoir des proches, les fameux “touristes affinitaires” qui pèsent pour près des deux tiers du tourisme mahorais. 59% des touristes viennent de métropole, 37% de La Réunion, et si l’on entend souvent que la piste, trop courte pour les gros porteurs, freine le tourisme, force est de constater que 2019 a été une année record avec +21% de touristes affinitaires, 65 500 visiteurs en tout, soit une année historique pour l’île aux parfums. Mieux, la quasi totalité d’entre eux repart avec une image positive de son séjour et beaucoup reviennent.
Le portrait n’est donc pas si négatif, et les données du tourisme indiquent que derrière les chiffres, de nombreuses images prennent le pas et colorent un tableau magnifique, quoi que fragile.
D’ailleurs, l’Insee le rappelle, son rôle n’est pas d’offrir une photographie du territoire, à accrocher sur son frigo, mais “d’éclairer le débat public”. Son slogan, Muhasibio wa leo Muwundrio wa meso, en français : Des chiffres aujourd’hui pour construire demain, résume bien la démarche pro-active de l’institut.
Y.D.
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