L’incendie de ce premier mai 2018 restera comme un profond traumatisme pour tous ceux qui étaient présents. Ce matin-là, un chalet prenait feu dans ce lotissement surplombant la route nationale, piégeant ses deux occupants, Franck Foulon et Nicolat Berot, qui ont péri dans les flammes.
Le premier dormait à l’étage quand le feu s’est déclaré. Coincé par les épaisses fumées venant du rez-de-chaussée, il a tenté en vain de fuir par la fenêtre avec l’aide de voisins qui avaient dressé une échelle. Mais des barreaux anti-intrusions avaient été soudés et ont empêché l’évacuation du malheureux. Quant au second, il a probablement été intoxiqué par les fumées dans son sommeil. L’hypothèse la plus probable c’est qu’il se serait endormi avec une cigarette qui aurait mis le feu au canapé. La combustion du polyuréthane, extrêmement toxique, ne lui laissait guère plus de chance qu’à son invité.
Dès lors la justice s’est mise en quête d’éventuelles responsabilités dans ce double drame. Plusieurs pistes étaient évoquées, chacune s’attardant sur ce qui aurait pu, ou non, sauver les deux vies fauchées ce matin-là.
L’une d’elles, rapidement abandonnée, c’est celle des pompiers. Selon les sources, ces derniers auraient mis jusqu’à 27 minutes pour arriver sur les lieux du drame. Or, assure la partie civile, Franck Foulon pouvait encore échanger avec ses voisins après 25 minutes d’incendie.
“On peut reprocher aux pompiers un trop long délai d’intervention, estime Me Nadjim Ahamada, avocat de la défense. Ils arrivent sur place 27 minutes après l’appel alors que c’est un jour férié sans circulation. Ils interviennent avec une certaine nonchalance. Ils arrivent sans échelle, sans disqueuse, sans pince coupante, sans hache et sans pompe, juste un camion et une petite citerne, qui au bout de 5 minutes n’avait plus d’eau. Pourquoi on ne va pas chercher leur responsabilité ?”
Mais plutôt que d’attaquer le temps d’intervention, le matériel voire la “nonchalance” des pompiers, le parquet a fait un autre choix. En effet, l’enquête a montré que le logement ne semblait pas équipé d’un détecteur de fumée, qui aurait pu sauver la vie des deux victimes. Or, ces équipements sont obligatoires depuis 2010, et dans un logement loué, ils doivent être fournis par le propriétaire depuis 2014. Or, le locataire s’y trouvait depuis 2016. De quoi, pour le procureur, qualifier un “manquement à une obligation de sécurité ou de prudence” ayant causé la mort, ce qui peut qualifier un homicide involontaire. En métropole, deux affaires similaires ont conduit à la condamnation des propriétaires sur ce motif.
Y avait-il dans ce cas un détecteur ? Rien dans les décombres ne le laisse penser. Et l’état des lieux établi par l’Agence de l’Île n’en fait pas mention non plus. Par ailleurs les voisins assurent n’avoir rien entendu de tel.
Jusqu’à un an ferme requis
Restait à établir les responsabilités, entre le propriétaire installé à la Réunion, et l’Agence de l’Île, gestionnaire du bien. “Aujourd’hui une agence qui a pignon sur rue est incapable de vous dire s’il y avait un détecteur, vraisemblablement il n’y était pas. On peut le tenir pour acquis, c’est bien une violation d’une obligation de sécurité” estime le substitut du procureur Bruno Amouret.
Quant au propriétaire, il a été selon le parquetier “négligeant”, “la confiance n’exclut pas le contrôle, à quel moment a-t-il appelé l’agence pour vérifier que ça a été fait ? j’appelle le tribunal à engager sa responsabilité pénale.”
Une responsabilité pénale que le procureur a pris sous trois angles. Celui du propriétaire, contre qui il a demandé deux ans de prison avec sursis. Celui de l’agence en tant que personne morale, menacée d’une amende de 50 000€ et d’une interdiction d’exercer pendant un an, et la directrice de l’agence, pour qui le ministère public a requis un an de prison ferme.
Chacun dans son rôle, les trois avocats de la défense se sont renvoyé la balle pour obtenir la relaxe de leurs clients respectifs, quitte à “salir la mémoire des victimes” déplore l’avocat de la partie civile Hervé Renoux qui réclamait près de 300 000€ pour les proches endeuillés.
La décision des juges doit être rendus après mure réflexion dans deux semaines, mercredi 23 septembre. Quelle que soit la décision, l’audience aura eu le mérite de rappeler la nécessité d’installer ces détecteurs de fumée encore absents de nombreux logements.
Selon le ministère de l’Intérieur, les détecteurs de fumée auraient sauvé pas moins de 200 vies en 2017. “Si le détecteur avait été en place, ces hommes auraient été sauvés. Les familles comptent sur cette audience pour souligner que ces objets là sauvent des vies. Il serait épouvantable que leurs morts n’aient servi à rien” conclut Me Hervé Renoux.
Y.D.
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