“L’audience est ouverte, vous pouvez vous asseoir”. Dans l’ancienne salle boisée du tribunal judiciaire de Mamoudzou, le président Leurent Ben Kemoun ne s’apprête pas à juger un délinquant. L’audience solennelle est une tradition des tribunaux à chaque mouvement de personnel. Ce jeudi, il s’agissait d’abord de présenter les “trois femmes puissantes” installées depuis cette rentrée dans la juridiction. Deux juges, et une substitut du procureur. Sarah Chaïb, Emilie Cuq-Girault et Sarah M’buta vivent là “un moment important dans la vie d’un magistrat” souligne le président pour qui cette arrivée “montre l’attention portée aux moyens de fonctionnement de cette juridiction”.
Le président a ensuite salué le chef du parquet, Camille Miansoni, qui prépare son départ à Brest en octobre. “Nous nous sommes entendus à merveille” sourit Laurent Ben Kemoun citant d’un amoureux de l’Afrique à un autre ce proverbe peul “c’est pendant la saison sèche qu’on noue amitié avec le piroguier”. Comprenne qui voudra.
La substitut Morgane Pajak-Boulet s’est fendue d’un long réquisitoire plein d’humour dans lequel elle a demandé “la libération” de son supérieur hiérarchique “sans contrôle judiciaire” mais en le priant de “donner des nouvelles”. Soulignant l’exercice d’un poste “quasiment politique” la parquetière a rappelé les embûches auxquelles le procureur ne pouvait s’attendre en signant pour Mayotte : séismes, crise Covid, affrontements entre bandes “qui ont perturbé le fonctionnement de la juridiction” mais aussi “des attaques indignes et intolérables”. Après plus de trois années où il aura été “plus que gâté en termes d’imprévus”, “le parquet requiert la remise en liberté de notre procureur Camille Miansoni” concluait la substitut sous les applaudissements d’une salle peu habituée à ce genre d’enthousiasme collectif.
Le procureur général Denis CHausserie-Laprée, venu de Saint-Denis pour l’occasion soulignait quant à lui “une mission accomplie avec beaucoup d’élégance et d’efficacité”. Celui qui aura été pour Camille Miansoni “un bouclier” face aux attaques est revenu sur la “trajectoire pleine de mérite” d’un procureur né et élevé au Congo d’une mère agricultrice et d’un père bibliothécaire, qui y a étudié jusqu’au master avant de partir en France, avec 300 francs en poche, dans une auberge de jeunesse. Etranger, le seul concours de la fonction public qui lui était ouvert était alors celui de l’Inserm, institut dans lequel il a gravi les échelons avant d’accéder à la nationalité et de changer d’administration pour finir magistrat.
Plus de trois ans avant de rêver en shimaoré et… du Codim
Arrivé à Mayotte, il y a initié la procédure du “plaidé coupable” pour les passeurs. Jusqu’alors expulsés et jugés en leur absence, un non-sens, ces derniers sont désormais le plus souvent envoyés en prison. Il a aussi serré la vis sur la gestion des fonds publics, engageant plusieurs gros dossiers. Citons en vrac ceux visant le maire de Mamoudzou, celui de Koungou… “Beaucoup reste à faire” concède Denis Chausserie-Laprée.
Un bilan qui n’ira pas plus loin dans le détail. “Si j’étais prétentieux, j’aurais donné des chiffres, mais les chiffres ne parlent pas à la personne agressée la veille, ils ne disent pas la souffrance des victimes” balaye le procureur. Plus que les réalisations menées à bien avec son équipe, il préfèrera s’attarder sur certaines épreuves, non sans l’humour qui lui est propre. “Parfois, je fais un rêve, je croise le président Laurent Ben Kemoun et je lui dis JEJE, WA FETRE, et il me répond ‘M. Miansoni qu’est ce qui vous arrive, vous devenez mahorais ?’ C’est sans doute qu’il est temps de partir. Si le Codim apprend que je deviens Mahorais, qu’est ce qui va se passer ?”
L’humour devait alors laisser place à un ton plus sombre. “On ne se prépare pas à l’hostilité, à voir un matin un défilé avec des pancartes ‘Miansoni dehors’. J’ai alors pensé au film ‘Y a-t-il un Français dans la salle’ et je me suis demandé, y a-t-il un Français dans cette manif ? On me vilipendait parce que je faisais application de la loi française !”
Sans rancune, le procureur a pris sur lui. Sa famille aussi. “Il faut temporiser, c’est sans regret ni amertume que je vais quitter Mayotte”.
Y.D.
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