En installant le nouveau procureur Yann Le Bris, le président du tribunal judiciaire “regrettera les proverbes africains” qu’il aimait à échanger avec le prédécesseur de celui-ci, Camille Miansoni. En guise de bienvenue, il a quand même souhaité lui en réserver un, “pas adressé à une personne en particulier, mais utile à tous”, et en tout cas, aux airs d’avertissement. « N’insulte pas le crocodile avant de traverser la rivière » citait le président du tribunal. Utile à tous ce proverbe, quand on sait les insultes subies par Camille Miansoni peu avant son départ, et qui ont conduit à des poursuites pénales. Utile aussi à son successeur qui commence un long et beau voyage au parquet de Mamoudzou, lequel sera loin d’être un long fleuve tranquille. Le nouveau procureur semble déjà avoir pris la mesure du jeu d’équilibriste qu’il lui faudra mener, entre une lutte persévérante contre les délinquances liées à l’immigration, en col blanc ou aux atteintes à l’environnement, et la communication à mener sur ces sujets, pour faire comprendre et accepter les décisions qui seront prises.
On peut notamment penser à la difficulté de faire accepter les décisions visant les actes de justice personnelle sur un territoire où la loi de la République peine parfois à s’imposer dans les esprits. Le président Ben Kemoun invitait sagement son nouveau collègue à aborder ces sujets avec hauteur et introspection. “Ici la soif légitime de justice emprunte trop souvent le chemin de la vengeance, des règlements de compte. Mais il est trop facile de juste dire qu’on ne doit pas se faire justice nous-même. Lorsqu’on renvoie de mois en mois des décisions (…) ne nourrit on pas le ressentiment, le désespoir, la tentation ?”
“Je ferai attention au crocodile” répondait avec une note d’humour le nouveau procureur. Ses premières paroles auront donc été naturellement teintées de prudence : il s’est refusé à détailler une politique pénale, qu’il souhaite élaborer au fil des prochains moins, après avoir rencontré les acteurs du territoire, en premier lieu desquels, les élus locaux.
Toutefois les grandes lignes de son action ne devraient pas réserver de surprise majeure.
“Arrivé depuis quelques jours il serait prématuré et présomptueux de présenter les grands axes d’une politique pénale que je présenterai dans les mois à venir. Sans surprise je peux assurer qu’elle sera en phase avec les priorités de la politique pénale nationale et de celle définie au niveau de la cour d’appel. Elle préservera les actions mises en œuvre par mon prédécesseur, notamment en matière environnementale et dans la lutte contre l’immigration clandestine. Comme lui la lutte contre l’insécurité sera au cœur de l’action de mon parquet.”
Insécurité, immigration, environnement, seront des priorités, et s’il ne l’a pas citée, la lutte contre la délinquance en col blanc était un des grands chantiers de Camille Miansoni, qui était parti en annonçant que plusieurs affaires seraient bientôt jugées.
Pour autant l’arrivée de ce nouveau procureur ne saurait se résumer à de la continuité décorée d’un nouveau visage. L’ancien président du tribunal Laurent Sabatier avait en effet coutume de dire dans presque toutes ses interventions publiques que “la justice est la seule vertu érigée en institution”, le procureur Yann le Bris estime lui que “la justice n’est pas une vertu ou une abstraction, elle est une institution qui se doit s’être performante collectivement pour conserver un sens.”
Comme les textes de loi, les mots d’un discours offrent une marge d’interprétation assez large. Le sens de la justice en tant qu’institution, lui, ne pourra se définir que sur des actes, et les mois à venir diront qui du procureur -amateur de voile- ou des crocodiles, est le plus à l’aise sur l’eau.
Y.D.
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