A la réception de l’ordre du jour de la séance plénière, nous avons un instant pensé que Soibahadine Ibrahim Ramadani était atteint de la folie des grandeurs, une sorte de frénésie bâtisseuse à l’heure de passer la main. Terre, mer, air, plus aucun élément n’était laissé pour compte, puisque, après l’annonce de transports maritimes autour de l’île, d’une compagnie aérienne, c’est un projet ferroviaire que soumet aux votes le président du conseil départemental.
Pourtant, dans l’hémicycle ce jeudi, point de cabinets d’études métropolitains qui se remplissent d’habitude les poches à bon compte sur un territoire où tout est à structurer, mais un trio de cerveaux locaux, Razak Inoussa, Ingénieur thermicien, ex-Alstom Transport, Ali Hadhuiri, juriste et financier, ex-IEDOM, et ancien maire de Boueni et le géographe Saïd Hachim, qu’on ne présente plus.
Pour introduire leur étude, ils partaient d’un constat douloureux : les 4 heures de route quotidiennes pour relier le Sud au Nord, soit 80h par mois à ne rien faire, de l’improductivité à la pelle. Outre les alternatives développées par ailleurs (encart ci-dessous), la voie ferrée leur a semblé une solution peu vorace en foncier, et permettant une desserte non seulement pour les scolaires, mais plus largement pour tous ceux qui n’ont pas de moyens de transports.
Leur carte de projection d’engorgement routier en 2030 est tout droit sortie du Schéma Régional des Infrastructures et des Transports (SRIT), « on voit que les portions impactées par plus de 15.000 véhicules par jour gangrènent quasiment tout le Nord de l’île », notent-ils. Le réseau ferré « Treni bile » (train bleu) collerait par tronçon à ce tracé d’embouteillages, pour redessiner la carte de Mayotte en traverses de chemin de fer.
Un train d’économies
Un projet sur 30 ans, « sur trois mandats », qui impliquera de lancer une étude complète du tracé et le choix d’un système de traction. « La première phase portera sur la liaison Longoni-Dembéni ». La locomotive électrique impliquera la pose de caténaires, « mais nous comptons aussi récupérer et produire de l’énergie grâce à des piles à combustible. »
Un projet à 980 millions d’euros, que ses porteurs comparent aux 800 millions du contournement de Mamoudzou et aux toujours imbattables 2 milliards d’euros de la route du littoral à La Réunion. « Et je rappelle que les transports scolaires nous coutent 300 millions d’euros tous les 3 ans », glisse Ali Hadhuiri. Ils comptent même gagner jusqu’à la Petite Terre, sans plus de détails sur la méthode… le pont envisagé à l’époque par l’ancien président du CD, Daniel Zaïdani, semble refaire surface. Le déficit récurrent du service des barges, en raison d’un billet déguisé en aide sociale, est mis en avant.
Une fois la voie ferrée posée, l’ajustement à l’accroissement de la capacité de transport se ferait par le nombre de wagons supplémentaires et la fréquence de passages. « La durée de vie d’un train est de 30 à 40 ans ».
Le voyage de Petite à Grande Terre plus long qu’un Réunion-Mayotte
Un projet de plus pour Daniel Zaïdani, qui mettait en garde contre le possible ridicule de la situation : « Vous nous avez soumis le projet de transport interurbain, celui d’une compagnie aérienne, et la, un train. Le conseil départemental ne doit pas être une boite à rêves. Il faut définir un projet et s’y tenir, à force de surenchères, on perd de la crédibilité. Nous n’arrivons déjà pas à assurer les services pour lesquels nous sommes missionnés. Pour venir de Petite à Grande Terre, si je ne fais pas le forcing pour doubler, je mets 2 heures et demie de trajet ! D’autre part, nous n’avons pas la capacité de financer un projet à 900.000 euros. »
Nomane Ousseni, conseiller départemental de Sada, se fait plus encourageant, « c’est une étude de faisabilité que je demande de pousser plus loin, car la population de l’île pourrait être multipliée par 3 dans 30 ans. On ne peut pas se permettre un statu quo. »
Un argument développé par le président Soibahadine : « Le Schéma d’Aménagement Régional court jusqu’en 2050. D’ici là, on fait quoi ?! Nous avons comme obligation de fluidifier la circulation, ce que nous avons cherché à faire avec les projets du Schéma des Transports*. La tradition française, centralisatrice et Jacobine entraine l’asphyxie des capitales. » Et s’adressant à Daniel Zaïdani, « je ne fais que reprendre l’excellent Schéma de ta mandature en 2013, j’ai agi dans la continuité. Tous les modes de transport que nous développons doivent se faire dans la cohérence, nous essayons de voir plus loin que le bout de notre nez ».
Le rapport était adopté à l’unanimité.
Anne Perzo-Lafond
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*Les différents chantiers de transports en commun
Lancés par l’actuel exécutif, ils étaient résumés par le DGA Transports, Mistoihi Mari : « Il s’agit de l’ensemble des projets du Plan Global de Transports et de Déplacements, donc le comité de suivi se réunit régulièrement ».
– Les Pôles d’échange multimodaux du réseau de transports interurbains sont diversement avancés. « Celui de Chirongui sera terminé d’ici fin août 2021, celui de Coconi, fin 2021, à Dzoumogne, les travaux doivent démarrer, à Mamoudzou, l’appel d’offre sera lancé dans 3 mois, et à Foungoujou, il est programmé. »
Sur la portion Tsararano-Mamoudzou, un appel à projets va être lancé pour élargir la voie.
– Le contournement de Mamoudzou : « L’étude de faisabilité est en cours, nous aurons le chiffrage en mars »
– Le Transport maritime Dembéni-Mamoudzou et Longoni-Mamoudzou, « en est à la phase d’avant-projet, les études seront finies en juin, pour lancer les appels d’offre d’ici fin 2021 ».
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