Nous sommes tous qualifiés pour le faire
Qui n’a pas un parent exilé en Métropole ou en dehors de Mayotte pour une meilleure santé, ou une scolarité réussie pour ses enfants ?
Qui ne compte pas dans son entourage, un proche, apeuré à l’idée même de ne pouvoir vivre paisiblement à Mayotte, territoire qui serait « in attractif » ?
Qui n’attend pas juste un simple accusé de réception d’une demande d’information ou de rendez-vous auprès de nos administrations publiques locales ?
Qui n’a pas croisé ces jeunes qui déambulent le long de nos routes en périphérie des villages, machettes à la main, tels des badauds suspendus à leurs téléphones portables en pleine conversation ?
Qui n’a pas croisé le long des routes, ces familles vivant en pleine forêt comme surgissant de nulle part, amenant leurs enfants à l’école dans le village d’à côté
Qui ne s’est pas inquiété d’un possible cambriolage de son domicile, de sa voiture et de ses biens en général ?
Qui a déjà compté ses heures quand il s’est agi de soutenir un candidat à des élections locales ou nationales, et être déçu du personnage au lendemain même des élections et lui trouver tous les défauts du monde ?
Qui en en partant de chez lui tous les matins, ne s’est pas montré patibulaire en croisant dans son quartier, un nouveau visage jamais rencontré auparavant ?…. « Huummm, celui-là vient juste de débarquer du dernier kwassa en provenance d’Anjouan ».
Cela constitue hélas le quotidien des mahorais !
« NOTRE SEUL LEVIER DEMEURE L’ACTION »
Alors nous sommes tous fondés pour agir parce que les ruptures d’égalité nous concernent tous autant que nous sommes, toutes catégories socio-professionnelles confondues. Nous n’avons pas attendu le couvre-feu préfectoral de 18h pour rester calfeutrés dans nos demeures la nuit tombée – Pauvres musulmans Mahorais qui ne peuvent plus s’adonner à la prière du soir en congrégation à la mosquée !
Notre seul levier demeure l’action pour dans un premier temps, faire prendre conscience, ensuite, obtenir des changements, des ruptures dans nos modes de penser et surtout de réaliser.
Mayotte traverse des crises multiples et au nom de quoi le politique mahorais ne peut pas agir ou ne serait-il pas qualifié pour le faire ?
La grave crise sanitaire que traverse le monde aujourd’hui, la pandémie de la COVID-19, n’a-t-elle pas d’abord été l’affaire des politiques ? Depuis le plus haut sommet de l’Etat quand il a fallu adopter des mesures très liberticides, telles les décisions de resserrement ou de desserrement des libertés fondamentales d’aller et de venir.
Des avions qui volent à vide, des tours du monde qui ne se font plus, même des baisers qui ne se partagent plus avec nos aînés, des pays qui interdisent le retour de ses ressortissants bloqués à l’étranger, des vacances qui ne se prennent plus, des stocks de denrées alimentaires qui pourrissent dans les restaurants, des échanges commerciaux rendus à néant, etc.
Derrière tout ça, une intense activité législative, règlementaire et judiciaire a dû être déployée pour atteindre un tel niveau de négation des libertés essentielles. Preuve si l’en est que l’action des politiques est vitale dans la société, tant il a fallu trouver des remèdes à la hauteur du caractère inédit de la crise sanitaire. La santé à n’importe quel prix ! Selon le ministère des comptes publics, la crise en 2020 a coûté entre 160 à 170 milliards d’euros à l’Etat, entre pertes de recettes et dépenses de l’Etat et de la Sécurité sociale.
Les milliardaires, les brigands, l’économie formelle, même l’économie souterraine, – des acteurs souvent réfractaires à toute interventionnisme – face à la grave pandémie sanitaire, ils étaient suspendus aux décisions des politiques.
On a tous commenté à Mayotte la gestion des aides économiques, bien sûr insuffisantes, les bons d’achat ou aides alimentaires pour soutenir en priorité ceux qui d’habitude vivent de l’économie informelle, la non verbalisation paraît-il des immigrés, car sans ressources, contribuant à hausser le nombre des contaminations alors que nous sommes censés être en confinement, etc.
« NE NOUS LAISSONS PAS CONVAINCRE QUE LA MAIN INVISIBLE VA TOUT GÉRER »
De grâce, ne nous laissons pas convaincre que nos politiques ne peuvent plus rien pour nous, dans le Mayotte aux multiples crises, et que « la main invisible » va tout régler.
Les concitoyens mahorais n’ont pas attendu l’actuelle crise sanitaire, pour se voir infliger multitudes restrictions. Puisque Mayotte enregistrait déjà, désert médical oblige, une crise sanitaire, une crise sécuritaire, une crise migratoire, une crise humanitaire avec un tel niveau de pauvreté. La pandémie de la COVID-19 n’a fait qu’exacerber des situations qui étaient déjà précaires.
Avec 4 crises y compris sanitaire dont il a fallu anticiper et gérer les impacts, quel a été notre niveau d’implication active à leur résolution ? On a vu ceux qui étaient au-devant de la scène, mais peut-être que d’autres étaient au moins concertés en amont des décisions.
Qui a décrété qu’avec 77% de la population vivant sous le seuil de pauvreté – un niveau de vie médian six fois plus faible qu’en Métropole – Mayotte doit rester le département français à recevoir le moins au titre de la solidarité nationale ?
Qui a décrété qu’avec une moyenne 10.000 naissances par an depuis 2015, Mayotte ne devrait pas développer une expertise complète sur l’enfance et disposer des meilleurs experts sur le sujet ?
Qui a décrété qu’avec 50% la population immigrée sur un territoire de 374km2, on pouvait intégrer tout le monde sous une même identité sans ébranler notre idéal républicain ?
Et comme par magie, on trouve à nous expliquer que le Mineur isolé, aujourd’hui Non Accompagné, présent à Mayotte, est différent de celui qui sévit à Bordeaux, à Montpellier, à Paris ou ailleurs en Métropole. Au final aux yeux de Paris on ne rentre pas dans la bonne case, synonyme d’absence de moyens à la hauteur du phénomène. Et dans le même temps, on s’y emploie localement, entre les premiers de la cordée qui défendent le tout éducatif au prix de la massification dans les écoles et, les populistes qui défendent la tolérance zéro ou le tout répressif.
Soyons localement entreprenants sur le sujet à l’instar de certaines villes métropolitaines confrontées aux MNA et aux étrangers en situation irrégulières qui, pour faire stopper les violences et les vols à répétition, font intervenir en groupement, conjointement, les bailleurs sociaux, les forces de l’ordre, le parquet, la police municipale, l’éducation nationale, la protection judiciaire de la jeunesse.
Vaincre l’immobilisme ou le désintérêt que semble partager nos concitoyens vis-à-vis de la classe politique locale passera pour ces derniers par une rupture de leurs manières de panser les maux des mahorais et d’appréhender les enjeux qui nous entourent.
Pour ce monde d’après crises, je suis très optimiste. Il y a des énergies, des synergies qui fonctionnent, les femmes leader, des groupes de vigilances citoyennes, des collectifs, des groupes de défense. Ils ont répondu présents en 2018 avant les gilets jaunes. Ces derniers, tout comme les crises qui s’enracinent localement, les mettent en évidence au jour le jour. Ces braves citoyens sont notre chance. Ils défendent leur Mayotte. Ils n’oublient pas d’où ils viennent et vers où leurs aînés ont souhaité qu’ils y aillent à force de longanimité. Je formule juste le vœu que ceux qui prétendent nous diriger les écoutent. Et que ceux-là qui nous gouvernent soient justes à la hauteur du job pour lequel ils ont candidaté.
Nabilou Ali Bacar, Observateur de la vie publique
* Nabilou Ali Bacar est par ailleurs directeur du Conseil Economique, Social et Environnemental
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