Alors que les cerveaux sont encore marqués par les opérations de destruction des quartiers insalubres de Jamaïque à Koungou et de Cetam/La Vigie en Petite Terre, c’est sur du positif que se réjouissait de communiquer le préfet ce jeudi à Majikavo Dubaï. Nous avions dévoilé la sortie de terre de ce chantier expérimental de Rénovation de l’Habitat Insalubre (RHI), de reconstruction de logements en dur sur les ruines des cases en tôles pour loger une trentaine de familles.
On ne saurait mieux dire, puisque Sourda Soulaimana, 80 ans, et sa femme, écoutent les discours des institutionnels, assis à l’emplacement même où était leur case. Ayant refusé d’être relogé par l’ACFAV car trop loin de leur quartier, ils habitaient depuis chez leurs enfants à proximité, en attendant d’intégrer leur futur logement. Il recevait les clefs des mains du préfet, un geste symbolique qui allait se poursuivre avec une ouverture à quatre mains de leur maison, en raison de la résistance du barillet. Le vieil homme découvrira sans un mot la salle d’eau, les WC intérieurs, la cuisine, et à l’étage, deux lits superposés. Le tout sera livré « pour le Ramadan », lui assure-t-on. Son grand âge ne lui permet évidemment pas de prendre les escaliers tous les jours, mais il pourra installer leur lit au rez-de-chaussée, « les lits en haut, ce sont pour ses petits enfants », explique Djamil Abdallah, Chargé de mission insertion à la mairie de Koungou, qui a supervisé l’opération.
La mairie a astucieusement intégré la Résorption d’Habitat Insalubre (RHI) dans le programme NPRU, Nouveau Programme pour la Rénovation Urbaine. « Nous avons démontré que les bidonvilles ne sont pas une fatalité, clamait le maire Assani Saindou Bamcolo. C’est un symbole pour la ville de Koungou et sa population, car nous avons montré que c’était possible d’ériger ces maisons en un an, grâce au préfet qui a porté les politiques publiques pour y arriver. Car le temps joue contre nous », en référence aux tôles qui continuent à se monter dans la commune. Il remerciait le Département pour sa cession du foncier… en l’absence des deux conseillers départementaux du canton.
Un milliard d’euros de logements sur 10 ans encore insuffisant
Chahuté sur les opérations de démolition menées, le préfet ne cachait pas sa satisfaction : « Le renouvellement urbain à Mayotte, c’est Koungou qui l’incarne, et c’est aussi la réussite des politiques publiques menées en matière d’effacement des bidonvilles. » Pour marteler l’importance de sortir les habitants de la précarité, Jean-François Colombet témoignait avoir « visité les bidonvilles de jour comme de nuit, avec des enfants entassés sur un même lit qui le soir ne peuvent pas faire leurs devoirs. » Ce qui est pointé du doigt, c’est « l’effacement », sans assez de relogement.
Le préfet rappelait à nouveau que la production de logements sociaux était insuffisante, déjà du temps de la seule Société Immobilière de Mayotte (SIM), « qui ne produisait que 80 à 100 logements par an », et même depuis l’arrivée à son capital de la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC Habitat) et son milliard insufflé, qui permettra de monter à 5.000 logements sur 10 ans, soit 500 par an, « ça reste insuffisant si l’on considère que les personnes qui décrocheront un emploi durable chercheront un logement SIM plus confortable. » Le représentant de l’Etat avait évalué le besoin à 3.000 par an, alors que ce sont 250 qui ont été mis sur le marché en 2020.
Ce village n’est donc qu’un embryon de réponse, qui devra se multiplier. Car il doit être vu comme un tremplin, comme nous l’expliquent les représentants de l’association SOLIHA agréée par l’Etat. Depuis 1942, elle intervient en faveur des personnes défavorisées, fragiles ou vulnérables sur deux axes : le maintien et l’accès dans le logement. C’est elle qui loue les logements de Dubaï et conventionne ensuite avec les occupants : « Nous travaillons avec eux pour les rendre autonomes, en les aidant à accéder à leurs droits ou aux démarches d’ouverture de compteurs d’eau. Nous les aidons également dans leur recherche d’emploi, pour que, ensuite, elles puissent accéder à des logements plus confortables », et ainsi libérer cette maison, qui pourra profiter à d’autres en sorties de bidonvilles, etc.
Menuiserie et solaire comme sujets d’insertion
Le montant de l’opération de 3,5 millions d’euros est financé à 80% par l’ANRU, 7% par le Conseil départemental et 13% par la ville de Koungou, nous explique David Leclaire, en charge de la NPRU de Majicavo Koropa. Les locataires paieront un loyer minime de 60 à 75 euros, « comparez sur le marché du banga avec ce qu’ils versaient avant pour des logements insalubres, ils sont gagnants ! », lançait le préfet.
Des critiques se faisaient entendre ça et là sur la conception des maisons, mais c’est une première tranche qui a été livrée, avec un habitat plus confort que celui du village expérimental de Tsoundzou. Nous avons interrogé l’architecte Attila Cheyssial sur ses choix : « Nous avons privilégié un escalier intérieur et non extérieur comme à Tsoundzou et il s’agit ici d’une résidence individuelle alors qu’à Tsoundzou ils sont prévus pour 2 familles, car non définitifs. Nous avons proposé des lits pour une somme modique aux occupants. »
Un chantier que nous avions évoqué comme facteur d’insertion par l’activité économique notamment impulsée par Djamil Abdallah, et ce sont en réalité de nombreuses déclinaisons qui ont été présentées. Notamment, un atelier menuiserie itinérant a été monté par le cabinet d’Attila Cheyssial, confié à Nadjide Attoumani, un ancien du RSMA qui nous explique l’objectif : « J’ai été formé à la menuiserie là-bas, et maintenant, je forme les menuisiers à faire ce qu’ils ne savent pas faire sur les chantiers. Ça a été par exemple pour construire les plans de travail pour les cuisines sur les 3 premières maisons. »
Autre expérimentation, les « mamas du solaire », initiée par l’AFD, comme nous l’explique son directeur local Yves Rajat : « Nous mettons en place une formation à l’auto-entreprenariat pour les femmes analphabètes sur la pose de panneaux photovoltaïques sur ce type de bâtiment pour initier l’autonomie énergétique »
Un peu plus loin, Mahamoud Laroze vient d’entrer dans la maison qu’elle va occuper avec ses deux enfants dont un est handicapé. Elle avait été logée par l’ACFAV depuis la destruction de sa case, et bien que l’habitat soit rudimentaire, elle se réjouit : « Je suis tellement heureuse d’avoir de l’eau et l’électricité, je trouve que c’est une très belle maison ».
Il ne reste plus qu’à lancer un chantier d’insertion pour les peintures et décorations d’intérieur!
Anne Perzo-Lafond