Les atteintes sexuelles sur mineurs sont un délit récurrent devant le tribunal judiciaire de Mamoudzou. Aux côtés des vols avec violence et infractions liées à l’immigration, ces pénétrations qui ont échappé à la qualification de viol sont jugées presque chaque semaine.
Jusqu’à présent, la loi était relativement claire : toute pénétration imposée par la contrainte, la menace, la surprise ou la violence est qualifiée de viol, et jugée devant la cour d’assises. Commis sur un mineur de 15 ans, le viol est puni de 20 ans de réclusion criminelle.
Mais la loi était victime d’une faille : s’il n’était pas possible de prouver la contrainte, la menace, la surprise ou la violence, l’infraction était alors qualifiée d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans. Un simple délit puni de 10 ans de prison devant le tribunal correctionnel.
En métropole, plusieurs affaires retentissantes impliquaient des mineurs de moins de 13 ans. Le viol n’ayant pas été retenu, des articles de presse accusaient la justice de considérer ces victimes comme “consentantes”. Cet abus de langage a donné lieu à la quête d’un âge de non-consentement présumé. Proposée à 13 ans, cette limite d’âge a finalement été fixée à 15 ans. Or, tout rapport avec un mineur de 15 ans était déjà réprimé. Alors que va changer la nouvelle loi ?
Des délits qui deviennent des crimes
Votée par l’Assemblée nationale vendredi dernier, celle-ci prévoit plusieurs dispositions visant à protéger les mineurs. En créant une nouvelle infraction d’inceste d’abord. Si la relation d’autorité était déjà une circonstance aggravante, le terme d’inceste était absent du code pénal, afin d’englober toutes les formes d’autorité, indépendamment du lien de sang.
Ensuite, le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans est de facto caduc, puisque désormais toute pénétration sur un mineur de 15 ans sera un crime passible de 20 ans de réclusion, comme un viol. La notion de contrainte ne sera plus à établir.
Une clause poétiquement surnommée “clause Roméo et Juliette” a animé les débats parlementaires, elle vise à protéger les amours adolescentes en excluant de ce crime les jeunes ayant moins de 5 ans d’écart d’âge avec leur partenaire. En clair, un jeune de 19 ans et une fille de 14 ans, ça passe. S’il a 20 ans, ça devient un crime.
Le recours à la prostitution de mineurs fait aussi l’objet d’un renforcement des peines, de 5 à 10 ans selon que la victime a plus ou moins de 15 ans.
Adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, le texte porté par le garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti ajoute néanmoins une faille procédurale de taille, là où il prétendait renforcer la législation. De fait, en créant un crime, des faits qui jusque là étaient jugés assez rapidement devant le tribunal correctionnel iront désormais devant la Cour d’Assises. Et le caractère systématique de cette qualification criminelle pourrait empêcher la correctionnalisation (poursuivre pour des faits moins graves afin d’avoir un jugement plus rapide pour les victimes) que les avocats des victimes eux-mêmes appellent souvent de leurs vœux.
“C’est vrai que sur certains dossiers on préfère correctionnaliser, explique l’avocate spécialisée Elodie Gibello-Autran du barreau de Mayotte. Les peines prononcées ne sont pas forcément moins lourdes qu’aux assises car les magistrats professionnels se montrent assez sévères sur ces dossiers, mais on a plus de chances d’obtenir une condamnation. Si on ne peut plus du tout correctionnaliser en effet, on risque de voir des acquittements” s’inquiète-t-elle.
“Une meilleure prise en compte des victimes”
En effet, le risque (ou les chances selon le point de vue) d’acquittement est plus élevé aux Assises, où les avocats se montrent souvent bien plus coriaces qu’en audience correctionnelle, et où les jurés populaires sont moins prévisibles que des juges professionnels.
Ensuite, les délais seront sans doute rallongés. Rajouter ces procédures criminelles à l’activité du tribunal nécessitera une information judiciaire préalable, la convocation de jurés et une lourde procédure globale qui peut prendre des années. Les procès d’assises eux-mêmes durent entre un et plusieurs jours et sont plus éprouvants que des audiences correctionnelles qui excèdent rarement une paire d’heures.
Les victimes mineures risquent donc d’attendre beaucoup plus longtemps pour être reconnues comme des victimes, et n’en auront que plus de mal à se reconstruire. Un lourd prix à payer pour les enfants violentés. D’autant qu’in fine, rien n’oblige les jurés à appliquer les peines maximales rappelle Me Gibello-Autran. Celle-ci rappelle en effet qu’une affaire jugée récemment au tribunal correctionnel a donné lieu à une peine de 8 années de prison. Pas loin de ce qui aurait pu être prononcé aux Assises si le viol avait été retenu.
L’avocate tempère toutefois le risque évoqué ci-dessus, et ne se dit pas certaine que les procédures seront rallongées de beaucoup à Mayotte. Elle voit du bon dans la démarche.
“La victime est beaucoup mieux prise en charge dans une procédure criminelle” explique-t-elle. Pour elle, celle loi “a ceci de positif qu’elle met les victimes au cœur des procédures”, car les procédures criminelles impliquent des expertises plus poussées. De plus, une procédure plus longue permettrait d’adapter la peine et l’indemnisation de la victime à la progression de cette dernière dans son processus de soins.
La loi trouvera donc tout son sens si les moyens de la justice sont adaptés à ses prétentions. Les professionnels de la justice eux, ne demandent pas mieux.
Y.D.
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