Une dizaine d’agents du rectorat est partie bivouaquer sur le super spot à ponte de tortues de Saziley. Nous les avons suivis, avec un objectif partagé, dévoiler des recoins de l’île qui vont faire des envieux chez n’importe quel touriste métropolitain, réunionnais, ou ailleurs dans le monde.
A peine arrivés sur la plage de Mtsamoudou, l’organisation huilée des Naturalistes prend le relais pour ce week-end inscrit à leur agenda. Sacs, tentes, masques et palmes sont pris en charge dans une barque qui fera le lien par la mer. La petite troupe reliera majoritairement le bivouac de la plage de Saziley par « l’allée des Baobabs », seulement chargé d’une bouteille d’eau. Le top départ d’une petite randonnée de prés de 2h qui permet de découvrir de nombreuses essences, autant bénéfique pour les mollets que pour les papilles. A la gousse de tamarin sucrée et dégustée sous l’arbre, succède le fruit orange du Nato, ou encore le chewing-gum local, issu du fruit de baobab qu’on aura morcelé. C’est Michel Charpentier, qui a repris cette association créée en 1999 lorsqu’il est arrivé à Mayotte il y a 17 ans, qui mène le groupe. Sans crainte, « il y a peu de délinquance sur ce parcours. »
De nombreux baobabs majestueux surplombent la balade et affichent leur ambition de faire de Mayotte le 2ème territoire en terme de diversité de l’espèce. Madagascar est leader dans ce domaine, dont sont issues 6 espèces sur les 8 recensées au monde, Mayotte en compte deux. Ceux qui nous abritent du timide soleil de début de saison sèche, sont tous des Digitata, originaire d’Afrique, alors que le Madagascariensis est plus rare. Un des baobabs a été décorcé sur une largeur de plus d’un mètre, « l’écorce a été prélevée par le passé, puis macérée pour être utilisée comme toiture ou comme fibre. Elles sont très solides, on en faisait des cordages autrefois », explique Michel Charpentier. Un « arbre à wasa », appellation des wazungu (métropolitains) à La Réunion, est ainsi baptisé parce qu’il pèle comme notre peau après une exposition au soleil, « il desquame à la saison sèche pour faire de la chlorophylle par l’écorce ».
La balade passe par les plages. A celle de galets où chacun s’essaye aux ricochets succède celles de sable fin, blanc puis noir, « on s’arrête sur laquelle ? », commencent à fatiguer certaines, peu habituées à l’exercice, et qui ont investi pour l’occasion dans une paire de chaussure de rando. Un autre se gratte l’avant bras, « bwi, ça, c’est le bibi mangui ! », s’exclame sa voisine qui évoque la petite chenille aux poils urticants.
Saziley, un site de ponte exceptionnel
Le campement est installé à proximité de l’ancienne maison des gardiens du conseil départemental, délabrée, qui permet juste de suspendre les hamacs des bénévoles des Naturalistes sur la terrasse. Ces derniers sont majoritairement des enseignants ou des agents hospitaliers, qui consacrent une partie de leur temps libre à l’observation et au comptage des tortues. Ils se relaient tout au long de la nuit, et particulièrement sur cette période de pic de ponte. Après un bon repas concocté par Madi et ses assistants, à la lueur des lampes, chacun est invité à rejoindre sa tente sous un magnifique ciel étoilé, avant la marée haute de 2h du matin, annonciatrice de montée de tortues. Elles seront plus d’une trentaine à se hisser péniblement en haut de la plage cette nuit là, chargées d’œufs. La température plus fraiche convient à ces reptiles qui, par définition, ne régulent pas leur température.
Sans lune, les masses sombres se détachent de la mer par la seule lueur des étoiles qui s’y réfléchissent. L’une va creuser 3 trous avant de retourner à l’eau, empêchée par des racines ou des pierres. « Sur 10 tortues qui sortent, 3 parviendront à pondre en moyenne, rapporte encore Michel Charpentier, nous avons commencé un comptage régulier des tortues en 2019, nous avons trois années de données, avec 2.300 montées, dont 640 pontes. Et sans compter qu’avec les trois plages de Majikavo qui jouxtent celles de Saziley, nous doublons l’effectif. Avec Moheli, nous sommes un des plus importants sites de ponte de la région. A La Réunion, il n’y a plus qu’une ou deux tortues pondeuses. »
La température régule le sexe
Cette fois, c’est la bonne, une tortue verte creuse un premier trou, de son envergure, sa cavité corporelle, et un second, proche de sa queue, se servant de ses pattes arrières comme des spatules, c’est le puits de ponte. Une fois fini, à l’aveugle, puisqu’elle ne verra rien de ce qui se passe, elle commence à pondre des œufs semblables à de petites balles de ping-pong, d’un blanc immaculé, environ une centaine, parfois plus. « Elles peuvent pondre jusqu’à 3 fois par saison, et fait original, dans une même portée, on retrouve des œufs fécondés par différents mâles ». Il y a quelques années, les tortues étaient baguées pour suivre leur parcours, « certaines avaient même été équipées de balise Argos », mais ce traçage n’est plus d’actualité, « trop perturbant pour elles ». Il aura permis de voir qu’après la saison de ponte, les femelles repartaient vers le littoral Est-africain.
Nous n’aurons pas vu d’émergences au petit matin, mais de multiples empreintes montrent que des œufs ont bien éclos cette nuit, « environ une sur mille arrive à l’âge adulte, un ratio pas si mauvais au regard de la quantité d’œufs pondus ». Les bébés sortent 70 jours après environ, et c’est la température qui va décider du sexe, « au dessus de 27°5, ce seront des femelles ». Donc plus de chance que les mâles soient au fond du trou de ponte.
Le lendemain, après le petit déjeuner, les Naturalistes ont préparé une surprise à Gilles Halbout, la plantation d’un petit baobab, pour remplacer ses aînés aux racines superficielles, malmenées par les coups de buttoir des dames tortues, par le recul du trait de côtes et par l’enfoncement de l’île du au volcan.
Rénover la maison des guides et entretenir l’endroit reste de la compétence du Conservatoire du littoral, « propriétaire de 80% de la presqu’île de Saziley », commente Michel Charpentier. Un des bénévoles arpente la plage en récoltant 8 sacs de déchets.
Une découverte des alentours nous amène devant une mosquée, « elle a été bâtie en torchis vers les années 80, alors que dix ans auparavant, les habitants avaient décidé de s’installer là à la saison des pluie, au sein de village dit ‘Tobé’, pour cultiver ». Elle sert encore de lieu de prière.
Un voyage à la fois dans la biodiversité de Mayotte, mais aussi dans le temps donc, qui offre une balade de retour sur les crêtes avec vue panoramique sur le lagon… quand Mayotte devient une destination impérieuse.
Anne Perzo-Lafond
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