Il aura suffi d’un caillou de 600 grammes pour faire basculer rien de moins que trois vies. Le 23 mai 2018, l’île se remettait de plusieurs mois de mouvements sociaux et les informations était dominées par les premiers séismes survenus moins de deux semaines plus tôt. Mais les caillassages qui avaient été le point de départ de la grande grève du début d’année restaient d’actualité. Ce soir-là, peu avant 23 heures, la brigade anti criminalité était appelée en renfort pour des violences entre bandes entre Passamaïnty et Tsoundzou 1. Un murengue avait viré en échauffourées et en caillassages.
Le major Philippe Meyer, chef de la BAC de nuit et fort de 30 ans d’expérience dans le métier se positionnait sur place dans une atmosphère qui se calmait, des tirs de lacrymogènes ayant dispersé les belligérants.
La soirée aurait pu en rester là si un jeune, alors mineur, n’avait pas décidé de se “venger”. En colère parce qu’il avait “les yeux qui piquent”, il avait décidé, seul, d’aller au contact des policiers. Couvert par la pénombre, mais identifiable au bonnet de Père Noël qu’il avait vissé sur sa tête, il s’était saisi d’une pierre et l’avait lancée à la tête du policier à un moment où ce dernier, la situation étant calmée, ne portait pas son casque. Le policier s’était effondré sur le champ, générant une riposte de ses collègues pour le mettre en sécurité. Rapidement, la perte de son œil apparaissait inévitable. Pour la victime, les conséquences sont lourdes.
“La perte d’un œil c’est la perte de la vue en 3 dimensions”, détaille son avocat Colin Le Bonnois. “C’est quand on marche dans la rue, être en extrême vigilance pour ne pas tomber, c’est des difficultés pour conduire, c’est prendre des précautions même pour se verser un verre d’eau. C’est l’abandon de toutes ses activités sportives, notamment le tir sportif qu’il ne peut plus pratiquer, ainsi que les activités aquatiques. Aujourd’hui une simple baignade lui est contre indiquée” poursuit le juriste spécialiste des dommages corporels. Suivent les conséquences psychologiques, avec un syndrome de stress post traumatique diagnostiqué par les experts, physiologiques avec des douleurs importantes, et économiques, avec la perte de son poste à la BAC de nuit. Enfin, les conséquences sont aussi “familiales” résume l’avocat, rappelant que les soins prodigués au fonctionnaire ont laissé son fils de 17 ans “seul sur l’île” en pleine année de terminale, avec, écornée, “l’image du père parfait”. Le tout sans plus de raisons résume l’avocat que de la “violence gratuite qui consistait à attaquer du flic”.
“Mayotte, malheureusement, est tristement connue pour ce genre de faits”, embrayait l’avocat général Ludovic Folliet. “Quand des jeunes s’affrontent en bande et recourent aux jets de pierre, ils ne sont pas dans la mesure, n’ont pas de limite et n’hésitent pas à recourir à la violence. Quand ils sont entre eux, on ne va pas considérer l’autre comme un individu mais comme un ennemi. C’est tragique car à la base, le gendarme, le policier, ce n’est pas l’ennemi. Son rôle c’est de s’assurer la sécurité des uns et des autres. C’est ce qui s’est passé ce soir là, c’est que des jeunes se sont retrouvés pour un murengue. A la base ce sont des combats de virilité, des lieux de sociabilisation mais qui ont perdu en sens au fil des années et des affrontements. Désormais ce sont des prétextes pour se retrouver dans la rue et massacrer l’autre. Cela fait que Mayotte devient un terrain de jeu pour des jeunes qui n’ont aucune considération pour la vie d’autrui. Dans ces conditions l’exercice du métier de gendarme ou de policier est très éprouvant.” Souhaitant que la prison laisse le temps au jeune homme de “réfléchir à son avenir”, le magistrat réclamait 8 ans de réclusion criminelle.
“Je suis désolé”
L’avocat de la défense, Me Abdel Latuf Ibrahim, commençait sa plaidoirie par un “hommage appuyé aux personnes qui dédient leurs vies à celles des autres : les policiers, les gendarmes, les pompiers et d’autres professionnels dont la mission est d’une grande importance pour notre société et nos libertés” avant d’inviter à porter “un autre regard sur le dossier”. “La société mahoraise a évolué de manière négative sur certains points. Les murengues ne sont plus ce qu’ils étaient à une époque. C’est la raison pour laquelle les communes sont engagées dans une bataille contre les organisateurs de ce genre de manifestations” rappelait-il. Dans ce contexte, l’avocat regrette que le policier ait retiré son casque, “une erreur d’appréciation” estime-t-il, sans laquelle “il n’y aurait peut être jamais eu de procès”, tout en trouvant “malaisé” de pointer une éventuelle responsabilité de la victime, aussitôt balayée. “Ce que je dis ne soit pas excuser le geste, ce n’était pas bien, ce que vous auriez du faire c’est rentrer chez votre mère avant de jeter cette pierre. Vous n ‘auriez jamais du faire ça car ça a une double conséquence, sur la vie de M. Meyer mais aussi sur la vôtre puisque pendant que vos camarades sont sur le terrain de foot ou à l’école, vous êtes en prison et votre vie est entre parenthèses” lançait alors l’avocat à son jeune client, prostré tout près de son interprète. “Vous voulez une famille, de l’argent, je vous invite à travailler, ça ne se gagne pas en prison” concluait-il, visiblement plus soucieux d’apporter une dimension pédagogique au procès qu’à réduire la peine encourue.
L’accusé, lui, a souhaité conclure les débats en réitérant les excuses formulées la veille, en s’adressant directement au policier et à son fils assis au premier rang.
“Je suis désolé pour ce que je t’ai fait à toi et à ton enfant, je n’ai pas pensé avant de jeter ce caillou.”
Des excuses qui n’ont pas attendri les jurés. Après près de deux heures de délibération, la présidente Courtois énonçait un verdict supérieur aux réquisitions avec 10 années de réclusion criminelle.
Y.D.
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