La thématique économique a été peu abordée lors de la double visite ministérielle, axée à 80% sur le régalien. Le territoire a pourtant besoin d’accélérer son développement, d’employer, et nombreuses sont les entreprises qui tentent de se maintenir à flot entre deux crises sanitaires. La seule rencontre sur ce thème s’est déroulée entre la poire et le fromage, lors d’un déjeuner où les patrons se sont adressés au ministre des Outre-mer pour échanger sur les enjeux à venir.
Sujet d’inquiétude, l’alignement des droits sociaux, un gain pour tous, mais qu’il va falloir financer. Les salariés de leur côté vont voir des lignes de cotisations s’alourdir sur leur fiche de paie, avec en contre partie une meilleure prise en charge sociale. Les dirigeants vont voir eux aussi leurs contributions rattraper le niveau national. Avec une échéance annoncée pour 2031. Une date qui n’a pas été choisie au hasard, rapporte Carla Baltus, patronne des patrons, « pour le ministre des outre-mer, nous sommes à mi-parcours avec les 10 ans de départementalisation qu’il faudra avoir bouclé dans 10 ans ». Des compensations sont demandées pour amortir le choc, « nous avons réclamé dans de nombreux courriers de passer en zone franche d’activité ce qui permet de bénéficier d’un dispositif d’exonérations de charges, mais sans obtenir de réponse. Pour trouver une issue, nos doléances auprès de Sébastien Lecornu portaient cette fois sur la possibilité d’appliquer ici la Lodeom renforcée, en place dans les autres DOM, couplée avec le CICE, ce qui permettrait d’être exonérés de charges patronales sur des salaires supérieurs au SMIC. Nous n’avons pas obtenu de réponse ».
Un frein aux augmentations de salaires
L’exonération Lodéom est une exonération de cotisations patronales d’assurances sociales et d’allocations familiales, ouverte aux employeurs situés dans les départements d’Outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, la Réunion) ainsi qu’à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Le barème dit de « compétitivité renforcée », permet d’exonérer totalement les cotisations patronales sur des salaires allant jusqu’à 2 fois le SMIC, et partiellement jusqu’à 2,7 fois le SMIC. « Alors que nous à Mayotte, ça ne concerne que le SMIC, dès qu’on dépasse un peu, on est taxé plein pot ». Le gouvernement avait expliqué que compte tenu du régime spécifique à Mayotte, cette mesure n’avait pas pu être appliquée, et en compensation, le CICE (Crédit Impôt pour la Compétitivité et l’emploi) avait été maintenu, au taux de 9%. Le CICE, un dispositif critiqué par plusieurs rapports nationaux, pour ne pas avoir eu l’effet escompté sur le gain de productivité des entreprises, et ni sur les maintiens ou les créations d’emploi. L’enjeu est donc bien d’en finir avec un régime dérogatoire à Mayotte pour être logé à la même enseigne que les autres DROM-COM.
Autre bataille portée par le Medef Mayotte et les autres organisations patronales, l’activation à deux poids-deux mesures, des aides financières au moment des confinements. Un texte vient d’être publié qui débloque le Fonds de solidarité et l’aide au paiement des charges sociales pour les entreprises des Antilles, de Guyane et de La Réunion, qui ont été fermées plus de 21 jours en juillet et août en raison de la vague de variant Delta, et ont perdu 40 à 50% de leur chiffre d’affaires, en fonction des secteurs. Il est non rétroactif. « Les patrons se posent la question de l’équité entre les territoires. Nous avons été fortement impactés en février dernier sans bénéficier de la totalité des accompagnements qui sont octroyés là. A Mayotte, on nous a alloué une aide pouvant aller jusqu’à 3.000 euros mensuels sur les entreprises des secteurs touchés*, mais c’était pour nous endormir, les aides ne sont pas à la hauteur de ce qui se fait dans les autres DOM, se plaint la présidente du Medef, notre malheur est d’avoir été touchés en décalé, et de ne pas être aussi puissant que les syndicats réunionnais qui avaient su se faire entendre en obtenant jusqu’à 1 million pour les grands groupes. »
La météo du Covid plombe l’hémisphère sud
Pour toute assurance, les patrons ont eu la confirmation de la bouche de Sébastien Lecornu que le rattrapage des retraites sera bien inscrit à la loi de Finances de la sécurité sociale. Une annonce qui réjouit tout le monde, les patrons eux, auront le regard porté sur le petit astérisque qui va en préciser le financement.
Le gouvernement assure en tenir compte, métropole et territoires ultramarins ne sont pas dans le même monde, ou plutôt dans le même hémisphère. Or, le Covid a sa propre météo, et accentue les injustices. Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises d’Outre-mer (Fedom) le relève en matière de tourisme : « En métropole, l’été est la principale saison ; en 2021 comme en 2020, elle a été réussie. Outre-mer, la principale saison est souvent l’hiver. L’hiver 2020 a été un peu écourté, l’hiver 2021 l’a été largement et les réservations pour la haute saison 2021-2022 sont très incertaines du fait de la quatrième vague. » Il conclut, « la reconnaissance de la spécificité des Outre-mer n’est pas une revendication de pleureuse, c’est l’appel à une réalité ».
Anne Perzo-Lafond
* Les entreprises des secteurs S1 (hôtels, restaurants, café, industrie du cinéma, etc.) et S1 bis (pêche en mer, etc.) ayant perdu entre 50 et 70 % de leur chiffre d’affaires
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