OSONS ENSEMBLE…
En outre-mer en général et singulièrement à Mayotte, les crises sociales sont prévisibles tant les insuffisances sont nombreuses. L’Etat et les gouvernements accusent un retard dans l’appréciation des situations les plus élémentaires. Ce même Etat a tendance à faire fi des réalités locales même devant l’évidence. Les diagnostics sont faits par d’autres que par les intéressés, par d’autres que par les autochtones, par d’autres que par les communautés de destin vivant sur le territoire. Le recours systématique à une expertise exogène fausse l’exposition des vrais enjeux.
Pensées et conçues pour la métropole, les solutions sont plaquées à Mayotte sous le prisme abusif du droit commun. Et globalement, ces modèles nés d’un apport extérieur, aux allures de pensée unique, ne donne pas toujours des résultats probants. Nonobstant les réels besoins d’un appui technique exogène, l’heure est venue de défaire les mentalités, rompre avec les pratiques ancestrales et instaurer un véritable co-appui et une réelle coproduction techniques qui prennent en compte la dimension humaine et les réalités du territoire.
En dehors des crises sociales prévisibles, l’île navigue à vue. Les décideurs agissent et réagissent en fonction des événements qui se présentent sans pouvoir les anticiper. L’île vit d’intentions et de promesses. Quelques uns oscillent en permanence entre recherche de publicité et de « coupables ». A titre d’exemple, ils appliquent tout azimut les dispositifs de la loi ELAN (Mesure 33), Evolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique en particulier le volet destruction des quartiers informels alors que les objectifs nobles qui sont :
* construire plus, mieux et moins cher,
* restructurer et renforcer le secteur du logement social,
* répondre aux besoins de chacun et favoriser la mixité sociale,
* améliorer le cadre de vie et renforcer la cohésion sociale…
ne sont pas forcément concrétisés et demeurent à l’état d’intentions et de promesses.
Quelques semaines après les décasages, les démolitions, hautement médiatisées, de maisons et de cases en tôle, le foncier gagné reste vague et les squatteurs administrativement en situation irrégulière sont déjà partis ailleurs pour s’installer. Le problème reste entier. Il est juste déplacé. Un sentiment d’improvisation s’installe chez les familles françaises nécessiteuses. Les solutions proposées sont en deçà des attentes sociales. Les quartiers informels et très défavorisés du territoire ne sont pas seulement le refuge des personnes en situation illégale. Il y a bien des familles françaises et des familles étrangères en situation régulière. Oui, il faut beaucoup de fermeté pour que les pouvoirs publics se réapproprient les espaces illégalement occupés mais aussi une grosse dose d’humanité pour reloger dignement nos concitoyens. On ne peut pas faire l’économie du volet social qui consiste à faire émerger les besoins des ménages, construire avec eux un projet de logement et d’habitat dans la durée, d’insertion sociale et professionnelle en restant intimement dans l’esprit de la loi ELAN.
Le tapage médiatique manié avec dextérité
Les pouvoirs publics se doivent de donner un nouveau cap pour rompre avec le sentiment que les promesses ne sont jamais tenues. Il y a 3 ans, juste après le mouvement social de 2018 contre l’insécurité, Annick GIRARDIN, ministre des outre-mer en visite à Mayotte courant mai de la même année annonçait 53 mesures prises par le gouvernement pour améliorer le quotidien des Mahorais. La Mesure 12 nous miroitait la modernisation de l’hôpital de Mamoudzou pour un financement à hauteur 173 millions d’euros. Le projet est tombé dans l’oubli pour faire place à une nouvelle promesse d’un deuxième hôpital qui ne verra le jour qu’à l’horizon 2030, selon un haut responsable de l’ARS. Les trois projets ANRU (Mesure 32) initialement localisés à KAWENI, MAJIKAVO et LAVIGIE tardent à sortir réellement de terre. Et d’ailleurs une « maison de projet » existe depuis quelques mois quelque part dans KAWENI et devait être l’avant-projet du projet ANRU de la dite-localité. L’OIN, Opération d’Intérêt National, (Mesure 29) dressée en « arme d’aménagement massif » est tombée dans les oubliettes. Elle était une des réponses au conflit social qui avait paralysé le département début 2018. Sa création a été actée par le plan de rattrapage en faveur du département présenté par le Gouvernement en mai 2018. Elle devait donner un coût d’accélérateur à la mutation socio-économique du territoire.
Dans ce même ordre, la piste longue promise par le Président de la République lors de son passage à Mayotte le 22 octobre 2019, devient « la piste plus ou moins longue ». Les « sachants » dépêchés par PARIS nous informent qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une piste trop longue puisque la nouvelle génération d’aéronefs ne l’impose pas. A titre de rappel, le débat public de 2011 avait préconisé la construction d’une nouvelle piste de 2 600 mètres, convergente par rapport à la piste actuelle. Les rapports officiels plus ou moins sous embargos feraient état « d’allongement de la piste actuelle » plutôt que de la construction d’une piste longue convergente de 2600m voulue par une immense majorité de mahorais. A coup de tapages médiatiques, on installe une « maison de projet » à Pamandzi non loin de l’aéroport dans quartier résidentiel paisible où les passants ne sont pas légion. Il aurait été plus judicieux et logique d’installer aussi « une case ou un banga de projet » à Mamoudzou où convergent chaque jour des centaines de mahorais. Il est fort à parier que l’échantillonnage serait encore plus large et à la clé, des échanges bien nourris, gage d’une information largement partagée avec les populations. S’agissant du financement du projet, les choses ne sont pas non plus transparentes. Il est proposé un financement croisé : le conseil départemental qui a déjà délibéré pour participer à hauteur de 80 millions d’euros, l’Europe, l’Etat et le futur délégataire, c’est-à-dire les usagers. Hormis la participation connue du conseil départemental, l’engagement financier de l’Etat et de l’Europe reste méconnu. Le coût estimatif du projet et la clé de répartition restent un mystère. Il ne faut pas être dupe, l’usager va devoir mettre la main à la poche comme c’est le cas déjà pour rembourser une partie du coût de l’aérogare et des lits d’arrêt d’urgence placés aux deux extrémités de l’actuelle piste de 1930 m, ce qui a le don, sans être clairement dit, d’alourdir constamment et sensiblement le prix du billet d’avion.
« La piste longue, quand je suis parti de Paris, on m’a dit qu’il n’y en avait pas besoin, que ça coûte cher. Quand je suis arrivé à Mayotte, j’ai compris qu’elle est vraiment courte… Les engagements que j’ai pris, je viendrai devant vous pour en rendre compte ». Ces paroles sont celles du Président de la République, Emmanuel MACRON prononcées lors de son passage à Mayotte le 22 octobre 2019. Avec la campagne pour l’élection présidentielle qui va bientôt s’ouvrir, espérons que le Président de la République viendra effectivement devant les mahorais en rendre compte. Reste à savoir quel est son choix aujourd’hui à quelques semaines de la fin de son quinquennat, entre l’allongement d’une piste « plus ou moins longue » et la réalisation d’une nouvelle piste convergente de 2 600 m plébiscitée par une immense majorité de la population de Mayotte. Il serait incongru que Mayotte se contente d’une piste de 1930 m améliorée au moment où tous nos voisins de la sous-région projettent la réalisation d’infrastructures aéroportuaires répondant aux standards internationaux avec des pistes de près de 3000 m. Le secteur aérien de la région est en perpétuel mouvement eu égard à une géopolitique et à une géostratégie mouvementées dans l’océan indien. Dans ce contexte, Mayotte ne peut donc pas se permettre d’être à la traine. Le temps est venu d’installer de nouvelles perspectives heureuses, de combattre « le complexe du nain » dicté par les sachants parisiens, d’instaurer de l’espoir en y apportant des réponses justes et adaptées à notre réalité dans un océan indien de plus en plus convoité par les grandes puissances. La France a un devoir de marquer sa souveraineté sur Mayotte, de garder son rang de première puissance militaro-économique dans une région de plus en plus sous l’influence chinoise et indienne.
« Nous sommes poussés à ne plus croire à la parole sacrée de l’Etat »
La récente double visite ministérielle aux allures de campagne électorale, a savamment occulté les grands dossiers de développement du territoire y comprise la construction de la piste longue. Et où en sommes-nous avec les « 800 salles de classes » qui devraient être construites avant la fin du quinquennat ? Ils nous font oublier le contrat de convergence avec le milliard 600 millions qui arrive bientôt à échéance et qui ne sera probablement pas évalué pour connaître les vrais impacts sur le quotidien des mahorais. L’hypothétique Loi-programme Mayotte a pris le pas. Il est fort à parier qu’elle sera le « tube » de la prochaine campagne électorale pour les présidentielles de 2022.
Aujourd’hui, le sentiment qui domine est que nous sommes tous envahis par une amnésie générale. On oublie tout et même les engagements du gouvernement. L’exemple de la modernisation du site du Centre hospitalier de Mamoudzou est édifiant. Manifestement, nous sommes poussés à ne plus croire à la parole sacrée de l’Etat.
En attendant, nous allons nous en remettre au Préfet et pourtant son séjour est d’une durée maximum de deux ans. Ce dernier est plutôt un accompagnateur nécessairement indispensable. Vous conviendrez que depuis la crise sociale de 2018, deux préfets, commissaires du gouvernement sont déjà passés et les grandes orientations sont restées au stade de promesses. Les fonctionnaires de l’Etat passent et repassent aussi laissant derrière eux de nombreux projets. Les orientations changent au gré du turnover.
Pour y remédier, il faudra constituer « une permanence et une ingénierie de mémoire » dans les services déconcentrés, responsabiliser celles et ceux qui sont voués à poursuivre leurs carrières ici car dans une organisation qui se respecte, la continuité de service est le maître-mot.
De l’avis de tous, Mayotte est un terrain propice aux études. Les experts qui passent ne laissent rien que des piles de documents oubliés dans les cartons, dans les archives. Comme dirait l’autre : « Le projet est sur la table depuis un petit moment (7 ans depuis le passage du cyclone HELLEN) » pour parler des inondations du village d’ACOUA. Malheureusement, ACOUA n’est pas un cas isolé. C’est à vue d’œil que nous constatons chaque année en période de grandes marées la monté inexorable des eaux de mer. C’est à coup de communiqués que la situation est gérée. Les barges et les amphidromes sont mis à l’arrêt, les portions de route inondée fermées à la circulation et les habitants exposés priés momentanément de quitter leurs habitations le temps que la marée basse revienne. On a colmaté le Boulevard des Crabes en Petite-terre, la moindre des choses, pour ne pas clouer peut-être les avions au sol ou retarder leurs décollages. Il y a aussi le cas du pont BAILEY de Dzoumogné dont la conception remonterait à la seconde guerre mondiale. De nombreux travaux de colmatage sont régulièrement réalisés mais n’arrangent pas le trafic sans cesse en augmentation. L’ouvrage est devenu un véritable coupe-gorge où il est extrêmement dangereux de passer à partir de 19 heures. Là aussi, il existe un projet de déviation de la RN1 piloté par la DEAL dont l’objectif serait de réaliser un nouveau tronçon routier de type « rase campagne ». Selon nos diverses ressources glanées ici ou là, il existerait bel et bien un marché public de maîtrise d’œuvre (Etudes bien sûr) publié en décembre 2013 sous la référence 906131 et dont la date de clôture était fixée au 5 février 2014 pour un prévisionnel de début des travaux le 3 mars 2014. Aujourd’hui, l’économie des trois communes de Bandraboua, de Mtsamboro et d’Acoua est mise au ralenti. Les camions chargés de parpaings ou de ciment, les engins de transport de conteneurs de 20 ou 40 pieds de plus de 19 tonnes en provenance de Longoni, Koungou ou Majicavo ne peuvent pas traverser le pont et le détour vers Acoua est rendu dangereux à cause de la monté vers le Lycée de Mtsangadoua. Conséquence, le seul dépôt de sable, de gravier de concassage et de parpaings situé sur les hauteurs de Handréma est fermé. Le coût de construction dans ces zones est devenu exorbitant. Les conteneurs de marchandises sont dépotés à l’entrée de Dzoumogné occasionnant régulièrement une perturbation de la circulation. Les entreprises de transport de marchandises sont doublement sinistrées à la fois par les embouteillages du quotidien et par le poids total des poids lourds sur l’ouvrage de Dzoumogné ne devant pas dépasser les 19 tonnes contre 26 tonnes il y a 10 ans. L’attente est longue, trop longue et la tendance n’est pas à l’optimisme.
Nonobstant les réels et indispensables besoins d’appui technique métropolitain, il conviendrait d’associer les talents endogènes insuffisamment mis à contribution. Ils sont détenteurs de solides connaissances des réalités culturelles et socio-économiques en sus d’un socle commun de connaissances. La réussite d’un projet est rarement un fait individuel. Le projet se développe de façon collective avec des acteurs souhaitant répondre à une problématique. Pour l’instant, chacun est resté dans son coin se donnant l’impression d’agir mais seul. Malheureusement « faire pour nous sans nous, c’est faire contre nous ». Alors, osons faire ensemble, osons prendre ensemble les grandes décisions devant engager le territoire sur les bons rails du développement. Cela n’enlèvera en rien à la qualité technique des uns et des autres.
Issihaka ABDILLAH
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