Au-delà de la dynamique démographique de Mayotte qui est source de déséquilibres pour le territoire, qui submerge tous les équilibres sociaux de l’île, devenue un « décor désormais permanent », de la violence juvénile qui se vit quotidiennement et est appréhendée par la population en termes de « sentiments d’insécurité », ce sont là encore, les tours d’eau (2 jours par semaine) qui viennent obscurcir la vie quotidienne des familles, impacter le fonctionnement des services publics, compliquer le respect des mesures barrières contre la Covid 19 et dégrader l’état sanitaire de la population mahoraise.
Voici 24 ans exactement, en 1997, la première crise d’eau à cinétique longue apparait sur l’île entre août et novembre de cette année-là. Cette situation a conduit les autorités de gestion de l’eau de l’époque et le Préfet de Mayotte à lancer la construction de la première et unique usine de dessalement de la Petite Terre. 24 ans plus tard, les tours d’eau mis en place par les autorités de gestion de l’eau à Mayotte, viennent de relancer en des termes parfois polémiques le débat sur cette nouvelle crise d’eau. Ces tours d’eau expliquent l’exaspération qui gagne progressivement la population mahoraise et laissent redouter, pour l’avenir de nouvelles tensions peut-être plus graves que celles initiées en 2016-2017 par « l’Association des assoiffés du sud ». C’est donc l’occasion pour nous, de participer à ce débat sur la gestion de l’eau à Mayotte pour apporter à notre avenir les enseignements du passé mais aussi de poser la question centrale : les pénuries d’eau à Mayotte : jusqu’où, jusqu’à quand ?
Le défi de l’eau à Mayotte
A Mayotte, l’eau est devenue rapidement un facteur de développement économique et social. Caractérisée, par une croissance démographique soutenue (3,8 % en moyenne par an), en raison à la fois de l’immigration clandestine et du fort taux de natalité (38 naissances pour 1000 habitants, soit le taux le plus élevé de France), Mayotte est soumise à une pression au niveau de la ressource en eau peu abondante que les crises de l’eau de 1997 et 2017 ont révélé. Les demandes récurrentes en eau sont aggravées par cette croissance démographique et cette urbanisation rapide avec l’émergence de ceintures de bidonvilles qui s’étendent sur toutes les hauteurs notamment des grandes villes, dans les secteurs inconstructibles, sur les pentes fortes, le long des cours d’eau, faits de tôles récupérées, de planches et de vieux sacs de riz, sans la moindre hygiène. Selon l’Insee, les besoins en eau des ménages mahorais ont fortement augmenté et le nombre de logements sans eau courante a lui aussi augmenté entre 2012 et 2017, passant de 15 700 à 18 300, soit 29% des logements. Sur cette toile de fond, les autorités de gestion de l’eau de Mayotte doivent chercher à relever le défi d’offrir à toute la population de l’île, un approvisionnement en eau potable qui réponde à ses besoins.
Évolution de l’approvisionnement de l’île en eau
En 1976, sous administration directe de Mayotte par la métropole, le premier bilan de l’alimentation en eau réalisé fait état de quatre réseaux de distribution d’eau reliés à des bornes fontaines publiques. Celui de Pamandzi, installé depuis plusieurs années, n’était pas alimenté en l’absence de château d’eau.
Celui de Mamoudzou-Mtsapéré–Passamainty était insuffisamment alimenté, ce qui a entrainé un rationnement en eau de l’hôpital de Mayotte (actuel CHM) à raison de 1 jour sur 3 ou 2 jours sur 5. Ceux de Chiconi et Sada étaient des captages en rivières. Ainsi l’alimentation en eau de la majorité de la population de l’île, provenait des réseaux installés par les sociétés privées de distillation d’ylang ylang (Kangani, Kawéni, Combani, etc.), de puits creusés près des mosquées et des citernes.
Dix ans plus tard, la présence administrative continue sur le territoire a provoqué des changements importants. Jusqu’en 1976, l’essentiel des cases mahoraises étaient en terre battue. Désormais, aspirant à un modèle social de type métropolitain, Mayotte entre dans son air du temps (développement économique, forte croissance démographique, généralisation de la médecine, de l’enseignement, croissance urbaine, monétarisation de l’économie, extension rapide du salariat, logement social, électrification, adduction d’eau). Ainsi en 1981, 40 % des villages étaient alimentés en eau de consommation. A partir de 1985, se développe une politique publique de l’eau. L’engagement du F.E.D (Fond Européen de Développement), a permis le branchement de plusieurs foyers. En 1986, en raison des problèmes techniques, quelques rares villages n’avaient pas de réseau de distribution en eau. Des solutions de déplacement vers des sites situés plus en aval des bassins versant ont été préconisées. Il s’agit des villages de Mroalé, de Vahibé, de Songorobili et de Mavengoni. Situé en altitude, le village de Choungui possédait une source qui se tarissait en saison sèche. La solution de raccordement au captage de Kani-Kéli avait été abandonnée pour des raisons financières.
Vingt ans plus tard, au-delà de la construction de l’usine de dessalement en Petite-terre à partir de1998, le bilan des études menées faisait apparaître que le capital en eau était menacé par le défrichement en altitude. Le recours à des eaux stockées, soit dans les nappes, soit dans les retenues collinaires s’avère indispensable à l’avenir. Cependant cette situation n’a pas toujours été du goût des habitants dont ceux de Mronabéja, qui avaient décidé le 8 mars 2005, de ligoter leur maire, d’enfermer l’agent de la SOGEA dans un conteneur pour protester contre un forage d’eau, qui serait à l’origine selon eux de leurs maux de ventre. Aujourd’hui, Mayotte est alimentée en eau potable par un réseau unique interconnecté au niveau de la ressource, de l’adduction et/ou de la distribution. Ce nouveau département vit une période de développement important qui se traduit par une hausse importante de la démographie (une population multipliée par 7 en quarante-cinq ans) et donc, une évolution rapide des besoins en eau. Cependant, elle ne dispose que de quatre types de ressources (rivières, retenues collinaires, forages, mer). Les rivières de Mayotte pérennes ont un régime hydrologique marqué par deux saisons très distinctes : la saison sèche et la saison des pluies.
Quarante-cinq ans plus tard, Mayotte reste toujours ce territoire où le lendemain ressemble à hier et au jour même. Les pénuries d’eau sont toujours d’actualité. Entre décembre 2016 et avril 2017, une crise de pénurie d’eau potable a affecté 80 000 personnes du sud de l’île. Pour faire face à cette situation et dans l’attente de l’arrivée de la saison des pluies, des tours d’eau ont été organisés (deux jours sur trois) dans huit communes du Sud de l’île. Cette pénurie d’eau a généré une suractivité épidémique dégradant l’état sanitaire de la population, des difficultés importantes de fonctionnement des services publics et des mouvements sociaux, notamment initiés par « l’Association des assoiffés du sud ».
A ces précédentes crises où la problématique de pénuries relevait essentiellement d’un manque de ressource, pour celle en cours en 2021, l’ensemble des acteurs, admettent que le dimensionnement actuel des infrastructures, usines et réservoirs en particulier, sont maintenant insuffisants pour alimenter en continu et dans de bonnes conditions sanitaires l’ensemble de la population de Mayotte. La situation actuelle de cette pénurie d’eau résulte donc de l’incapacité des infrastructures en eau à satisfaire les besoins. L’augmentation de la consommation et le manque d’investissements structurants ces dernières années sont à l’origine de ces tensions. Ce phénomène va s’accentuer dans le futur, dans la mesure où les investissements attendus vont nécessiter plusieurs années avant leur mise en service.
L’eau devient donc un enjeu crucial du développement de l’île. L’explosion démographique dans l’archipel – de 47268 habitants en 1978 à plus de 300 000 habitants en 2021 explique en partie cette baisse. Dans cette île, selon les prévisions de l’Insee, la barre de 750 000 habitants sera franchie en 2050. Au-delà des investissements importants à conduire pour la fourniture de l’eau à chaque ménage mahorais, la vraie question ne serait-elle pas de réfléchir et de travailler pour empêcher que le volume d’eau disponible par habitant ne continue sa pente descendante dans le territoire mahorais ?
En définitive, il peut être soutenu que les thématiques de la maîtrise démographique et de l’immigration clandestine sont des sujets transversaux. Leur maîtrise influe sur toutes les autres politiques publiques du département, notamment celle de la gestion de l’eau. L’exemple actuel dans le sud de Madagascar1 doit plus que jamais nous alerter.
Salim MOUHOUTAR
Auteur-Conférencier
1 https://refesimandidy.org/problematique-de-lacces-a-leau-potable-a-madagascar/
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