Pas de philo dans ce courrier que nous nous sommes procuré, envoyé conjointement au ministre Lecornu et au président Ben Issa, cosigné par 3 acteurs politiques de tout bord – balle au centre tout de même – mais des propositions concrètes, qu’il suffirait (presque) de transcrire tel quel dans un projet de loi remanié. Car, en écho aux défenseurs du projet de loi qui doit absolument être présenté au conseil es ministres avant les présidentielles pour lui donner une chance ultérieure de vie législative, Ibrahim Aboubacar, ancien député PS, Ahmed Attoumani Douchina, ex-président LR puis UDI du Département, et Saïd Omar Oili, maire Nema (centre gauche) de Dzaoudzi Labattoir, ancien président de l’Association des Maires de Mayotte, le replacent dans le contexte : « Il s’agit de l’aboutissement du processus engagé le 31 mars 2021 par le gouvernement lors du 10ème anniversaire de l’avènement de la départementalisation de Mayotte. Les objectifs partagés étaient et restent d’accélérer un processus tendant à faire converger Mayotte vers la situation de quatre vieux départements d’outre-mer de 1946 ».
Seulement, comme « le compte n’y est pas », ils ont remis l’ouvrage sur le métier, avec comme ligne de conduite, « l’aboutissement de l’égalité réelle » pour Mayotte.
Ce sont trois fins connaisseurs des rouages institutionnels, qui proposent de revenir sur 8 points importants de divergence, estimant que les autres pourront « être traités par le dialogue ». Pour les consulter, cliquer sur Lettre à Messieurs le MOM et le PCD
Nous les reprenons ci-dessous, dans une volonté d’éclaircissement et de commentaires.
Les lois programme n’ont plus de caractère obligatoire
Le 1er porte sur le format retenu. La loi proposée par le ministre Lecornu serait une loi ordinaire, et non une loi programme (ou loi de programme), pourtant réclamée par les élus. Nous nous sommes penché sur l’historique de cette dernière. Les lois programme, très utilisées jusqu’en 1959, permettait de répondre à des investissements majeurs, en réponse aux plans en vigueur à l’époque. Considéré comme trop contraignant, ce mécanisme a été enterré par l’ordonnance du 2 janvier 1959, qui a retiré leur caractère obligatoire aux lois de programme.
Dommage, il colle parfaitement aux besoins en investissements structurels de Mayotte, et répondrait à la proposition de la Cour des Comptes en 2016, d’anticiper et programmer la trajectoire des dépenses en faveur de Mayotte. Les trois signataires font aussi remarquer que le projet de loi de finances 2022 fait apparaître un effort budgétaire de l’Etat au rabais pour Mayotte, 4.987 euros par habitant en faveur de Mayotte contre 7.213 euros sur l’ensemble des DOM (Chiffres en annexe).
Puisque les lois programme n’ont plus de caractère obligatoire, on peut considérer que la proposition des trois signataires de s’adosser à la loi Egalité réelle, pour organiser le rattrapage, en utilisant le prochain contrat de convergence, est une piste intéressante, puisqu’il apporte une visibilité quant aux échéances. Le tout est d’y veiller.
Le deuxième point dépassionne un débat instrumentalisé, en décortiquant les apports de la loi organique. Rien de révolutionnaire, expliquent en substance ces trois signataires qu’on ne peut suspecter à leur âge de « commencer une carrière de dictateur », pour paraphraser de Gaulle. Le projet de loi organique ne donne rien d’autre qu’une « dimension régionale » en ajoutant les compétences de régions à celles de département. Mais encore fallait-il l’expliquer…
Mais alors que les compétences de départements ne sont pas totalement exercées, (construction des collèges), celles de la région ne peuvent pas être décentralisées du même coup de baguette magique que leurs consœurs du département, sous peine d’aboutir aux mêmes échecs de non maitrise des sujets. Il est donc demandé de différer « au-delà de 2030 », les compétences de construction des collèges, lycées et routes nationales, et de saisir (enfin !) la commission nationale d’évaluation de la compensation des charges, pour évaluer comme son nom l’indique, les compétences transférées au conseil départemental. Cela permettra d’y voir plus clair en matière de transport scolaire, de transport maritime entre Grande et Petite Terre, et de développement économique, compétence d’une région.
Les autres points bloquant de la loi organique, que sont le mode de scrutin, les circonscriptions électorales, doivent être « traitées et approfondies dans le débat parlementaire ».
Ne pas faire à la place, mais « avec »
Les points 3, 4 et 5, portent sur les préoccupations majeures, lutte contre l’insécurité, lutte contre l’immigration clandestine, rattrapage des droits sociaux. Ils reprennent les propositions des Ateliers du projet de loi Mayotte : sur le premier point, création d’un centre éducatif fermé, d’un GIP pour l’insertion des jeunes, etc., sur le 2ème, suppression des titres des séjour territorialisés, extension de l’Aide médicale d’Etat, création d’une direction régionale de la mer à Mayotte. Et sur l’échéance de la convergence des droits sociaux à 2036, « unanimement rejetée » car trop lointaine, une étude d’impact sur 10 ans quant aux conséquences concrètes des hausses de cotisation sociale est demandée.
Un des points forts du projet de loi, la création d’un Établissement public de délégation de maîtrise d’ouvrage doit permettre de mettre en place les grosses infrastructures à même d’impulser un développement du territoire. La première version de cette SEIM (type de société d’économie mixte), avait été critiquée par les élus parce qu’elle recentralisait leurs compétences dans les mains de l’Etat. Des exemples comme le déficit d’investissement de la précédente équipe du syndicat des Eaux, plongeant le territoire dans les coupures hebdomadaires, ne peuvent que donner raison à Sébastien Lecornu. Mais nous l’avons écrit à de nombreuses reprises, dans une logique de décentralisation des tâches, le gouvernemnt ne doit pas les abandonner aux mains des élus, mais s’assurer de leur bon fonctionnement. Le courrier envoyé par Ibrahim Aboubacar et consors demandé un « renforcement d’ingénierie ».
Cette SEIM devra donc gérer les compétences non encore transférées, et devra peu à peu laisser la main, est-il demandé, en tout cas, « les actes de la SEIM ne devront pas faire l’objet d’une tutelle de l’Etat ».
« Il n’y a pas de fatalité »
Le Grand Port maritime, annoncé dans le projet de loi Lecornu est envisagé « que dans l’hypothèse où le conseil départemental aura au préalable confirmé son souhait de résiliation de la concession actuelle » et « en supportera le coût », rien d’incitatif du côté de l’Etat… Les trois signataires en tirent conclusion en proposant que cette transformation en Grand port maritime se fasse « au terme de l’actuel contrat de concession ». On ne saurait trop rappeler que sur ce sujet, des plaintes sont en cours, et que si elles aboutissaient, les dés en seraient jetés, et l’indemnisation du délégataire réduite à peau de chagrin. Au sens balzacien du terme.*
Enfin, le courrier se clôt sur la dotation du territoire en implantation administrative ambitieuse à l’image du rectorat ou de l’ARS : une préfecture de Région, une cour d’Appel, une Université, un CHU, etc.
En espérant que le processus n’est pas définitivement enterré du côté de la rue Oudinot, nous conclurons sur deux citations du même auteur qui illustrent le contexte à Mayotte. « Les plans ambitieux sont partout, la capacité à les exécuter nulle part », et ce n’est pas de Mayotte, mais bien du pays entier que fait état Nicolas Baverez, normalien, énarque et ancien conseiller référendaire à la Cour des Comptes, qui dit aussi, « Il n’y a pas de fatalité, il n’y a que des systèmes de pensée, des structures de décisions et des organisations dépassées. A nous de les moderniser ! » Aux élus de Mayotte de prendre leur destin en main.
Anne Perzo-Lafond
* « La peau de chagrin », d’Honoré de Balzac (1831), décrit les revers d’un jeune aristocrate en possession d’un échantillon de cuir en peau d’animal (le chagrin), qui réalise ses désirs, mais se racornit un peu plus lors de leur réalisation, d’autant plus qu’il veut accroitre sa puissance
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