L’affaire avait du bruit en fin d’année dernière. Le 28 octobre 2021, une ordonnance du juge des référés obligeait la scolarisation d’une dizaine d’enfants dans la commune de Tsingoni, à la suite de la plainte des familles. Soutenus par plusieurs structures, les plaignants pointaient des obstacles mis par la commune dans la scolarisation d’enfants de nationalité comorienne.
Le juge des référés avait alors déclaré que « le maire de Tsingoni agissant au nom de l’Etat, de même que le recteur de Mayotte au titre de son absence d’intervention à l’égard des agissements irréguliers du maire, ont porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que constituent le droit à l’instruction, l’intérêt supérieur des enfants et le principe de non-discrimination ». Néanmoins, l’affaire ne s’arrête pas là.
Une forme de scolarisation jugée insuffisante
Selon le directeur général des services de la mairie de Tsingoni, les enfants ont par la suite été scolarisés. Tous ceux des grandes sections, beaucoup des petites et moyennes sections. Néanmoins, faute de place, certains des plus jeunes ont été scolarisés dans des classes itinérantes, un dispositif de transition permettant d’assurer un minimum de scolarisation en attendant d’obtenir des places dans les établissements publics.
La solution aura été jugée insuffisante pour plusieurs familles, ainsi que les associations GISTI, LDH et FASTI, entraînant une nouvelle requête.
Les requérants soulignaient ainsi que « la scolarisation de l’enfant dans les conditions définies par l’ordonnance du 28 octobre 2021 n’est toujours pas assurée », et que « l’inertie de l’administration justifie qu’il soit fait usage du pouvoir d’astreinte dont dispose le juge administratif en application de l’article L. 911-4 du code de justice ». Et finalement, le 20 janvier dernier, le tribunal administratif donnait raison aux plaignants.
Dans l’ordonnance du juge des référés, il est ainsi stipulé que « s’il est établi qu’une solution de « scolarisation » a été proposée sous la forme d’un accueil de l’enfant, quelques heures par semaine, dans le cadre d’un dispositif de « classe itinérante » mis en place sur le site de la MJC de Tsingoni, cette solution ne saurait être regardée comme conforme à la modalité de scolarisation prescrite par la décision de justice dont il est demandé l’exécution, à savoir la scolarisation dans une école maternelle de la commune de Tsingoni. ». Ainsi, il est « enjoint au maire de Tsingoni et au recteur de Mayotte, en exécution de l’ordonnance du 28 octobre 2021, de faire le nécessaire pour que soit assurée la scolarisation dans une école maternelle de la commune de Tsingoni de (…) (ndlr plusieurs enfants concernés), dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la présente ordonnance et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ».
De fausses adresses ?
Qu’il s’agisse de la municipalité de Tsingoni comme du rectorat, cette nouvelle ordonnance n’a pas manqué de faire réagir. « Sauf qu’il n’y pas de classe », réagit Florent Abodala, DGS de Tsingoni. « Les enfants ont été inscrits dans un dispositif dérogatoire, et ces enfants seront ensuite intégrés en classe normale » précise-t-il. Et ce avant de déclarer que la commune entend bien faire appel de cette décision.
Autre détail que la municipalité souligne, c’est qu’il y a eu de fausses attestations. Certaines adresses ont été vérifiées, et au moins quatre se sont avérées fausses. « Soit les personnes étaient introuvables, soit les propriétaires attestaient qu’ils ne connaissaient pas les personnes concernées » ajoute le DGS. Et sur ce point, la municipalité nous fait part de son intention de porter plainte contre les administrés concernés.
Un litige inter-institutionnel ?
Du côté du rectorat également, la décision irrite. Interrogé, le recteur Gilles Halbout rappelle les difficultés à scolariser les enfants de cette tranche d’âge, en dépit des récents efforts des différentes municipalités. « On sait qu’à Mayotte il y a un problème de classe et pour y remédier on met en place des dispositifs transitoires que sont les classes itinérantes, cela nous permet faute de locaux d’accueillir des élèves et de leur faire un minimum de scolarisation ». Pour lui, les enfants concernés sont des cas « hors délais », dont les inscriptions ont été faites tardivement, et pour lesquels des solutions ont tout de même été trouvées. « Il se trouve d’ailleurs que la plupart des élèves dont on parle a déjà été intégrée dans classes classiques, et pour d’autres, on a simplement perdu leur traces ». Gilles Halbout évoque des familles injoignables, « visiblement suivies par les associations », mais « ces associations feraient mieux d’être en lien avec nous et d’aider vraiment les enfants à être scolarisés plutôt que de passer leur temps à faire des procès, et d’avoir ce genre de petites victoires ridicules ».
Visiblement remonté, le recteur poursuit : « Ce n’est pas au juge administratif de statuer sur ce qui est ou pas une bonne scolarisation ». Et à l’endroit des associations concernées, Gilles Halbout évoque des associations qui « font de l’activisme ». « Moi je préférerais aujourd’hui qu’ils soient dans la co-construction avec nous » conclut-il. Et ce avant de préciser que le rectorat soutiendra la commune si elle fait un recours en conseil d’Etat. Le sujet semble décidément loin d’être clos.
Mathieu Janvier
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