Courageusement, l’ancien policier s’avance à la barre de la salle d’audience. Malgré sa prothèse de jambe, qu’il n’avait pas lors de son agression, il refuse la chaise proposée par le président Philippe Ozoux et témoigne de la scène d’horreur qu’il a subie avec son fils alors âgé de 9 ans. Ce jour du 11 mars 2016, il allait en effet être victime d’une bande qui sévissait depuis plus d’un mois dans tout Mayotte. Agriculteur et vendeur d’oeufs, l’homme fournissait des restaurants de toute l’île. A 23h, il était occupé à rédiger des factures à son domicile et bureau d’Ironi Bé, quand la bande a ciblé son logement. “L’alarme s’est déclenchée, mon fils s’est levé et m’a rejoint dans mon bureau. J’ai vu aux caméras que sur la terrasse, des gens s’en prenaient à ma fenêtre au pied de biche”.
Les images de la vidéo surveillance montrent la scène sous un autre angle : vu de l’extérieur, on voit une demi douzaine d’individus cagoulés, armés de barres et de machettes, forcer l’entrée du logement et y pénétrer. A l’intérieur, l’entrepreneur, récemment amputé d’une jambe suite à un accident de moto, joue la montre pour protéger son fils. “J’ai essayé de les empêcher de rentrer. Sur une jambe, j’avais placé mon fauteuil roulant contre la fenêtre qu’ils avaient explosée. L’un d’eux a passé la main avec une machette, j’ai reculé, reposé le fauteuil au sol et me suis rassis dessus.”
Le premier individu entre alors. “J’avais mon gamin derrière, j’ai crié à mon fils d’aller se cacher”. Pendant ce temps, l’homme tient le bras du premier assaillant. “Un autre excité m’a porté un coup de pied de biche, ils ont basculé le fauteuil et j’ai senti deux gros coups de pied”.
Quelques instants plus tard, la vidéo montre la bande quitter la maison avec un coffre fort, qui s’avérera vide, une caisse contenant 2400€ et un ordinateur portable. “On a passé une sale période” témoigne la victime. Son témoignage pointe aussi un élément clé du procès fleuve qui doit durer jusqu’à mardi prochain : une hiérarchie, permettant de qualifier la circonstance aggravante de bande organisée. Pour l’entrepreneur, il y avait “un chef”, torse nu, que l’on voit sur la vidéo. Selon la victime, pour qui “la violence a été énorme”, cet homme donnait des ordres aux autres, et était un des premiers à entrer.
Ce chef, ce serait un certain “Oasis”, en fuite aux Comores depuis l’ouverture de l’enquête, et qui y coulerait des jours heureux avec l’essentiel des quelque 235 000€ volés en moins de 6 mois.
Car l’agression du vendeur d’œufs s’inscrivait dans toute une démarche de vols violents, ciblant principalement des coffres forts. Et selon le directeur d’enquête de l’époque, auditionné en visio-conférence ce mercredi matin, Oasis est bien identifié comme un des leaders du groupe, aux côtés d’autres “cadres”.
Pour l’ancien enquêteur de la section de recherche de Pamandzi, la “bande organisée” s’était “aguerrie avec le temps”. Un noyau dur d’une demi douzaine de malfrats, qui se gardaient le gros des butins, faisait appel à des complices éphémères dans les quartiers cambriolés pour faire le guet notamment. Longue comme le bras, la liste de faits reprochés à la bande compte pas moins de 15 cambriolages suivant le même mode opératoire, que ce soit à Bandraboua, Iloni, Mzouazia, Bandrélé ou encore Kawéni, le groupe, mobile, ne rechignait pas à faire de la route pour dérober, de nuit et avec des armes, des coffres forts, dans des magasins et entreprises diverses. Et quand ces derniers étaient trop bien fixés, ils repartaient par défaut avec des cigarettes et de l’alcool. Mais “à chaque fois, le coffre était la cible numéro 1” assure l’ancien directeur d’enquête.
Alors que le procès n’en est encore qu’à l’instruction des faits reprochés, de premiers éléments de défense ont commencé à germer. Pour limiter la responsabilité de certains protagonistes identifiés comme “cadres”, un temps désignés par leurs complices et curieusement innocentés par ces derniers devant la Cour. Ou en affirmant pour un autre avoir simplement voulu nourrir sa famille en volant de la nourriture, dans un contexte de décasages par la population. Autant de déclarations contredites par les auditions des uns et des autres que le président a soulignées sans se laisser perturber par l’apparente complexité d’un dossier hors normes par le nombre d’accusés, de victimes, et par la durée de l’audience de 10 jours, mais qui au fil des heures passées à en décortiquer les arcanes, dresse surtout le procès d’une bande piégée par son propre sentiment de toute-puissance, et de l’ADN laissé un peu partout. Le plus grosse tâche des magistrats et des jurés sera sans doute de s’accorder sur les responsabilités de chacun quand il faudra, mardi prochain, établir une autre hiérarchie, celle des peines à prononcer pour les éventuels condamnés.
Y.D.
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