L’IRES a été créé en 1982 par l’ensemble des organisations syndicales représentatives françaises avec le concours du gouvernement. Il publie des chroniques internationales et des dossiers « Eclairages », dont l’un, signé Antoine Math, chercheur à l’IRES, est donc consacré à Mayotte, « Réduire les inégalités entre Mayotte et les autres régions françaises : quel niveau de dépenses publiques ? »
L’intitulé donne le ton, « La situation économique et sociale à Mayotte présente, à tous points de vue, une situation très dégradée par rapport aux autres régions françaises. Les besoins pour rattraper les retards et des décennies de délaissement, ou même seulement pour garantir des droits équivalents en comparaison des habitants des autres régions, sont très importants. À cet égard, l’effort exceptionnel en faveur de Mayotte affiché dans le nouveau projet de loi déposé par le gouvernement est-il à la hauteur ? »
Et le contexte est rappelé pour les lecteurs non avertis et qui ont besoin d’outils de comparaison : le PIB par habitant y représente seulement le quart du niveau national, le taux de chômage y est de 30,1 % en 2019, contre 8,2 % en métropole (19,9 en Guyane), 77 % de la population dispose d’un revenu inférieur au seuil de pauvreté en 2017 contre 14 % environ pour le reste de la France et 53 % en Guyane, alors même que le coût de la vie y est plus élevé de l’ordre de 15 % selon l’Insee, et même de 42 % s’agissant des produits alimentaires, les inégalités entre les ménages se traduit par une masse des revenus détenue par les 20 % d’individus les plus riches en 2017, 80 fois supérieure à celle détenue par les 20 % des personnes les plus pauvres, contre environ 4 fois en métropole (10,5 en Guyane), plus de 70 % des jeunes mahorais de nationalité française (soit à l’exclusion de ceux de nationalité étrangère qui constituent une part importante des jeunes) ne maîtrisent pas la lecture contre 9,5 % en métropole.
L’effort devrait être au moins 3 fois plus élevé
Une situation résultant de « sous-investissement pendant des décennies, de carences multiples des pouvoirs publics métropolitains et d’un niveau d’éducation catastrophique de la population (…) une grande part de la population n’ayant guère été scolarisée ».
Le 1,5 milliard de « transferts financiers » du projet de loi équivalent, pour les quelque 300 000 habitants de l’île, à 5.000 euros par habitant. « Ce que recouvrent exactement ces ‘transferts financiers’ n’est pas précisé mais, implicitement, il semble que ce sont les efforts de la collectivité nationale, soit les dépenses des administrations publiques dans la comptabilité nationale. » Or, pour la France entière, l’ensemble des dépenses des administrations publiques atteint plus de 20.000 euros par habitant en 2019, soit « quatre fois plus que ce qui est donc affiché pour Mayotte dans le projet de loi ».
Selon les calculs de l’IRES, l’effort consacré à Mayotte en 2018 de prés de 5.600 euros par habitant atteint bien la somme de 1,5 milliard d’euros par an affiché par le gouvernement dans son projet de loi, mais « pour atteindre la parité avec les autres régions françaises, l’effort devrait être trois plus élevé à Mayotte, et même davantage si l’on souhaite garantir un niveau de service public équivalent compte tenu des majorations de salaires », car l’indexation des salaires des fonctionnaires gonfle la masse salariale attribuée à Mayotte.
L’institut s’est livré à un vrai travail de recherche qu’il faut consulter, la démarche en vaut le coup. Elle accrédite la demande d’accélération de convergence des prestations de la population. En partant notamment des 4 mesures de politiques publiques jouant un rôle majeur dans la réduction des inégalités entre régions métropolitaines et régions ultramarines : les pensions de retraite, les autres dépenses publiques (prestations sociales en espèces, transferts en nature comme éducation, santé, logement… et services publics, administrations, les transferts publics européens et le tourisme.
La santé et l’éducation nationale réduisent les inégalités…
L’IRES constate que « c’est bien l’accroissement de ces mesures qui, dans le temps long, a permis de fortement réduire les écarts de richesse de leurs habitants (des DOM) avec ceux de la métropole ». Avec du bon et du mauvais – dont Mayotte devra d’ailleurs se prémunir pourrions nous rajouter – car ces mesures de redistribution à laquelle aspirent les habitants « se traduisent par une forte dépendance économique, ce qui en retour tend à anesthésier les velléités d’autonomie de ces anciennes colonies », et ces perspectives d’évolution de ces transferts s’annoncent « difficiles depuis les années 2000 dans un contexte général de limitation des dépenses publiques ». Rattraper le retard en impulsant l’économie, pour ne pas être unilatéralement dépendant, voilà un challenge à relever, un modèle à inventer.
Les dépenses publiques qui réduisent deux tiers des inégalités avec les autres régions françaises sont les dépenses de santé, de l’éducation nationale, de l’action sociales et des aides au logement, et également, des services administratifs, police, justice, etc.
En conclusion, et pour que le projet de loi atteigne l’objectif de « parité avec les autres régions françaises », l’IRES souligne que « en considérant les besoins énormes et les nombreux retards, et imputables aux carences de l’État depuis des décennies et d’une certaine manière depuis que ce territoire et ses habitants sont dirigés par la métropole (1841), c’est sans doute bien davantage de moyens qui seraient nécessaire pour faire justice aux habitants de Mayotte. »
A un mois de la présidentielle, on n’entend plus parler de ce projet de loi de développement accéléré, dont les montants manquaient d’ambition, mais qui introduisait malgré tout une démarche de rattrapage.
Consulter la note Eclairages sur Mayotte Janvier 2022
Anne Perzo-Lafond
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