Le sujet est d’actualité avec le vote du budget prévisionnel 2022 par les élus du conseil départemental ce mardi : comment mener à bien les investissements structurants inscrits au projet de mandature 2021-2028 quand on voit le temps que met un cinéma à être rénové ou un stade à être inauguré ?
En face, les besoins sont immenses. Mohamed Hamissi, Directeur pour l’environnement, les transports et la mobilité pour la communauté de communes de Petite Terre (CCPT), qui avait auparavant co-construit le projet Caribus, a son avis sur la question. Il confirme, « on annonce de grands investissements, mais on ne maitrise pas tous les risques pour transformer un projet politique en projet administratif ». Et distingue plusieurs freins.
Le plus important selon lui, est celui de l’expertise entre les 4 murs de la mairie, de l’intercommunalité ou du conseil départemental : « Il faut créer les conditions en interne pour que les collectivités se transforment en ‘sachants’, elles doivent maitriser de A à Z le projet avant de recourir à un bureau d’étude. Ces derniers ne sont que des prestataires, et doivent répondre à un cahier des charges ».
La plupart de collectivités ne manquerait pas d’ingénierie : « Elles n’ont pas toutes les moyens d’avoir un cadre de haut niveau, mais doivent déjà former leurs techniciens à la hauteur des exigences à avoir de la part du bureau d’études. Parfois, l’ingénierie est là, mais elle est mise au placard. Ensuite, il faut faire confiance à ce technicien en lui fixant des objectifs opérationnels et en lui donnant les moyens. Or, cela arrive qu’il soit pris en tenaille entre le donneur d’ordre et le bureau d’étude, et un technicien en qui on n’a pas confiance, sera défaillant ».
« Une seule tête ne peut pas tout savoir »
La mutualisation des hommes et femmes en capacité de suivre des projets serait d’ailleurs une bonne chose, « ces techniciens doivent travailler en réseau, entre les interco et le conseil départemental par exemple, cela permet de bénéficier d’un retour d’expérience et d’améliorer le portage des dossiers ». Nous lui rappelons le dispositif mis en place par le rectorat dans une convention quadripartite de mise à disposition d’ingénieurs auprès des mairies pour construire de nouvelles écoles. « Un dispositif qu’il faudrait généraliser à l’ensemble des projets », juge Mohamed Hamissi.
Une coopération qui doit commencer au sein même de la collectivité, « lorsqu’on envisage un projet comme le contournement de Mamoudzou, toutes les directions de services doivent être mobilisées. On a besoin de juristes, des spécialistes de l’urbanisme, de l’environnement, etc. Cela évite des dérapages, car une seule tête ne peut pas tout savoir ». Avant de poursuivre, « il faut débattre entre techniciens et bureau d’étude, car quand il y a un problème, il faut de la solidarité, le chef de projets ne doit pas être isolé. » Surtout que le turnover des fonctionnaires perturbe le suivi d’un projet, « quand quelqu’un reprend le projet, il a tendance à se reposer sur le bureau d’études, or le maitre d’ouvrage reste à la manœuvre. Sinon, c’est la porte ouverte aux dérives. » C’est ainsi que le stade de Cavani va devoir réaménager sa piste d’athlétisme et peut-être même sa pelouse. « Et d’autres projets doivent se greffer, comme le collège de Cavani. Il faut avoir un regard d’ensemble ».
Ensemble, c’est aussi comme cela qu’il voit le travail avec les autres intervenants, « la gestion des risques, c’est à chaque étape du projet, pas uniquement en phase travaux. Pour cela, il faut les partager avec les partenaires, et avoir un contact régulier avec les services de l’Etat, DEAL, DAAF. Ils ne faut pas les voir comme des obstacles, mais comme des accompagnants, car, si ça ne va pas, tôt ou tard, ils interviendront ».
La multiplicité des acteurs sur un projet correspond à une multiplicité d’objectifs, chacun cherchant son intérêt, « construire un stade ou un quai, ce ne sont pas des techniques faciles. Il faut constituer une équipe projet en lien permanent avec les élus, le bureau d’études, les services de l’Etat, dont le bureau du SGAR. Tous ces gens là vont nous apporter de l’expertise ».
Dérives en terrain meuble
Autre frein, « une analyse des besoins bâclée ». Pour illustrer, l’ingénieur prend comme exemple le stade de Cavani, un cas d’école de ce qui ne faut pas faire : « Il y a eu arrêt du chantier, remise en cause des études, demande d’un avenant, un révélateur que l’analyse des besoins a été mal faite. Pour ne citer que la construction des gradins, elle implique d’avoir identifié les besoins techniques. S’il s’avère qu’on est en zone humide et que cela nuit aux fondations, sans doute que le bureau d’études n’a pas effectué assez de recherches géologiques, mais il faut surtout que la maitrise d’ouvrage possède le sujet. Sans quoi, l’entreprise va se retourner en disant que les travaux nécessaires n’étaient pas dans le cahier des charges, va demander un avenant, ce qui va impacter le planning et engendrer des dérives financières. Et si les études complémentaires décèlent autre chose, l’enveloppe peut être multipliée par 4. »
De plus, le manque de concurrence dans le BTP ne plaide pas en notre faveur, « ce n’est pas parce qu’on évalue un projet avec le bureau d’étude à 2 millions qu’on aura des offres correspondantes. Car les entreprises doivent souvent faire venir des experts, ce qui gonfle la note ».
En matière de coût, celui des matières premières vient aussi perturber les compteurs, « et si le chantier traine, ces coûts augmentent ».
Le Conseil économique, social et environnemental (CESEM) l’a mis en lumière pour la Cité judiciaire, le foncier est aussi un facteur à maitriser. Un autre sujet qui demande « rigueur et anticipation », selon Mohamed Hamissi : « Simultanément à la procédure amiable pour construire une infrastructure, on peut lancer une DUP », une expropriation. Les statistiques de blocage en raison du foncier accréditent cette option. « Souvent, on minimise la complexité de ce territoire par rapport aux projets d’envergure. Mais il faut arrêter de les envisager dans un objectif de rattrapage, car alors, on prend les décisions à la va-vite, voyons cela comme le développement du territoire. »
Enfin, la gestion des procédures laisse aussi à désirer, et à tous les étages de la mise en œuvre : « En phase de conception, il peut déjà y avoir une analyse incomplète de la solution à mettre en place. Il faut concerter à tout va, pour cerner l’étendue des idées ». On l’a vu pour les dessertes maritimes, projet remis par un pilote maritime de Longoni au ministre Dominique Bussereau en 2009, sans que cette expertise soit prise en compte ensuite. Les procédures administratives doivent être menées avec rigueur, « lors du montage du projet Caribus, nous avons respecté les procédures administratives, ça peut mettre trois ans. Et cela a été reconnu par l’avocate lors du procès gagné contre l’association de la défense des intérêts économiques de Kawéni. Si vous ne le faites pas, les associations ont vite fait de trouver les failles ».
Voilà pourquoi aujourd’hui, les infrastructures lancées notamment par l’ancien exécutif du CD, n’ont pas été bouclées, « et quand ça va mal, on entend dire que c’est l’Etat qui bloque. Tout projet comporte des risques, le tout c’est de les identifier. Si on résout ces problématiques, les projets vont aboutir, consommer des fonds européens, et on nous regardera autrement depuis Paris. »
Anne Perzo-Lafond
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