Il est né à l’état civil sous le nom Ahamada Mohamed, mais il aime se faire appeler Myster Mariox. C’est d’ailleurs comme cela qu’il signe tous ses projets multimédias. Sur notre île, les plus créatifs s’appellent par un pseudo, trouvé dès l’enfance. C’est une manière de se démarquer, d’être différencié. Mariox en est le parfait exemple. Quand on lui demande qui il est, il nous répond avec un sourire en coin : « Moi, je suis une victime de la société. Entre guillemets. Deuxièmement, je suis un enfant de l’isolation. Je suis victime de la discrimination de Kaweni. Mon combat c’est d’abord Kaweni, et après Mayotte. Derrière, on pourra conquérir le monde. »
Quand on échange avec lui, on pense rapidement à d’autres parcours similaires dans l’hexagone, qui connaissent aujourd’hui leurs plus grandes heures de gloire. Ladj Ly, Kim Chapiron, des enfants de quartiers défavorisés, qui avec les plus téméraires ont créé Kourtrajmé. Une boite de production dans la banlieue parisienne, qui depuis est aussi une école de cinéma à Marseille, ouverte à tous. Ladj Ly a même, avec son premier long métrage, Les Misérables, gagné des César et un prix du jury au prestigieux Festival de Cannes. Mais c’est à Franck Gastambide que l’on pense le plus. Le réalisateur autodidacte, connaît le succès grâce à son premier film Les Kaïras, ou encore sa série mondialement connue, Validé (la première vraie immersion Française dans le monde du rap). Mariox évoque Franck Gastambide comme une référence. Comme lui, tout a commencé dans son quartier et il l’a fédéré avec les plus ambitieux. « Aujourd’hui, j’ai pas envie que les jeunes se disent qu’en venant de Kaweni, c’est l’échec direct. Moi je dis non. On a besoin de rêver. »
Il a volontairement cofondé une structure avec une faute d’orthographe AMPIRE PRODUCTION comme le créateur de Validé, avec sa boîte AUTODIDAKTE. « C’est pour garder un peu notre côté illettré. En fait, il ne faut pas être trop sérieux », dit Mariox en riant. Assumant une possible marge d’erreur, il fonce coûte que coûte. Il y croit plus que tout, et comme on pourrait dire : « Jusqu’ici tout va bien. Jusqu’ici tout va bien. » (ref. film La Haine (1995) – Matthieu Kassovitz)
Il faut retenir une seule règle d’or chez Ampire : « C’est ouvert à tout le monde. Y’a pas vraiment d’identification. Je n’ai pas vraiment voulu avoir un endroit professionnel pour les professionnels. J’ai envie d’avoir un endroit du peuple. On peut accueillir tout le monde ! »
« De l’ombre à la lumière »
Dans la plus grande humilité, et spontanément, Mariox aime rappeler qu’il est un autodidacte, il a tout appris et il veut tout faire par lui même. Même si dans son bureau, on peut remarquer un diplôme audiovisuel, il montre que sa véritable école, c’est celle d’avoir appris ici. Dans Kaweni, tout le monde le connaît ; les enfants viennent chez lui pour passer l’après-midi (le monde des grands c’est toujours plus fascinant), les copains lui demande des conseils ou des entreprises lui commandent de la publicité. C’est d’ailleurs comme ça qu’il s’est perfectionné : en commençant par des films institutionnels à visée commerciale. Lui, le garçon discret du « petit village » (comme il aime le dire) a trouvé une voie, pour se faire respecter et porter son territoire vers la lumière. Au début, sa famille ne comprenait pas vraiment, car le jeune Ahamada se voyait faire des études d’ingénierie, mais finalement, c’est le cinéma qui l’a attrapé en plein vol.
Pour lui c’est sans limite, on peut tout dire, tout montrer, tout raconter. C’est un outil indispensable, qu’il voit comme une possibilité pour que le monde extérieur puisse enfin poser un vrai regard sur Mayotte.
À travers des courts métrages, des publicités, des vidéos commerciales, des reportages, AMPIRE PRODUCTION est devenu un gage de qualité. À l’heure où ces lignes sont écrites, la page YouTube affiche plus de 35 000 abonnés, et accumule un visionnage général à 17 millions de vues, dont le clip de BAINA – Nimbé Thémbo, qui approche des 3 millions de clics. Sur notre département, c’est le compte YouTube le plus regardé, détenant même un record de vues. Pour Myster Mariox et ses amis, c’est une grande fierté. C’est aussi la récompense d’un travail acharné, qui ne s’arrête pas là.
« Il y a cinq ans, on ne faisait pas ça. Aujourd’hui il y a des nouvelles propositions et ça fonctionne. À Mayotte, on n’est pas des Scofield (protagoniste très malin de la série Prison Break), on n’a pas les codes, mais on fait quand même. On est des rêveurs. »
Par ailleurs, par sa notoriété locale et sa connaissance du secteur, Mariox a été l’un des consultants sur le casting et conseiller technique à Kaweni, pour le tournage du long métrage Tropique de La Violence. Une autre expérience de production qui lui a donné de nouvelles cordes à son arc. Le mois dernier, il organisait la projection du film au milieu des bangas. Un moment inédit et fort pour la population.
Un travail collectif avec une diversification
Dans son activité médiatique et audiovisuelle, Myster Mariox ne se limite pas seulement au cinéma. Pour lui c’est important de se diversifier pour encore mieux communiquer. Avec ses camarades ils ont voulu fonder le COLLECTIF GUETTO RICHE, pour exprimer la grande solidarité qui existe aussi à Mayotte. La dernière création en date est la commercialisation limitée du tee-shirt DE L’OMBRE A LA LUMIERE – KAWENI 00. Idem, le projet est allé au delà du succès escompté, le stock est déjà quasiment écoulé. Ça peut nous rappeler, pour les puristes du rap français, la réussite de Morsay avec sa marque TRUAND 2 LA GALÈRE.
Sans limite, Myster Mariox et ses acolytes ont aussi créé L’ASSOCIATION FORME D’ART. Avec cette structure, l’idée est de promouvoir les talents du cinéma Mahorais. Comme à leurs habitudes, certains passent pour prendre les nouvelles du jour et la température, malgré la chaleur et le ramadan. Discret et attentif pendant l’entretien, Idiamus, apprenti photographe de l’équipe, mais aussi Amigo, un des acteurs des divers courts métrages, faisaient acte de présence. « Quand on voit son visage, on a envie de le filmer » dit Mariox, en parlant de Amigo, au moment où nous prenons les photos.
Se développer et s’élever
À Mayotte, Myster Mariox fait partie des gens à qui on a dit qu’il était difficile de recevoir des financements, comme dans les autres départements.
« Il y a deux ans, je ne sais pas ce qui s’est passé, on a tous voulu faire du cinéma, et ça s’est arrêté d’un coup… Pourquoi ? C’est juste qu’il n’y a pas de soutien, tout simplement. »
Mariox n’est pas dupe, il sait aussi qu’il n’y encore personne en capacité de leur expliquer concrètement l’intérêt d’être subventionné avec de l’argent public pour lequel ils sont éligibles. Et surtout d’être en capacité de faire des dossiers correctement pour des commissions. « En fait, ça ne nous parle pas vraiment. » – L’équipe de Mariox se développe par elle-même. Elle sait que si on la voit, même de loin, elle demandera en temps voulu une subvention pour faire venir un intervenant professionnel rémunéré, qui l’accompagnera dans les démarches nécessaires.
En attendant, les créatifs ne cessent de faire fleurir les actions qui les animent. Des projections en plein air gratuites, des tournages de qualité, des concerts, des sessions post-production, en passant par des opérations bénévoles pour les plus précaires et des temps d’échanges dans le studio de travail. Un lieu que Mariox partage avec son espace de vie privée. C’est davantage le temps que les moyens qui leur manque (même s’ils en ont évidemment besoin). Mariox voudrait quand même demander aux officiels une salle pour avoir plus de place et ainsi proposer des activités à davantage de jeunes du quartier (trop souvent défavorisés). Mûrit aussi chez lui l’envie d’un vrai festival, il ne mâche pas ses mots au sujet de sa grande ambition : « Mon modèle c’est Clermont Ferrand. J’ai envie qu’à Kaweni, ça soit une grande plateforme d’audiovisuel, de musique, etc… »
En attendant la sortie prochaine d’un nouveau court métrage sur fond de danse, le soir de l’Aïd, Myster Mariox tirera ses câbles électriques jusqu’à la M.J.C. pour que s’improvise une grande soirée festive de partage ouverte à tous.
Germain Le Carpentier
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