Youmna Mouhamad a eu une idée géniale : améliorer le sort de toutes les filles, petites ou grandes, dont les cheveux crépus ou trop frisés transforment en calvaire les séances de coiffure. Mais avant de tenir en main son peigne magique, l’expérimentée docteur en physique a dû puiser des ressources en elle-même.
Au départ, sa voie était toute tracée après ses études de doctorat. Alors qu’elle travaillait comme chercheuse en ingénierie à l’université de Swansea, la 3ème plus grande du Pays de Galles, elle se remet en question, « je me suis passionnée pour mon travail en recherche et développement, j’avais même créé #IloveMyjob ! Mais au bout de 7 ans, c’était quand même la routine, j’avais des idées que je voulais mettre en pratique ».
Elle se souvient de son job de jeune fille au pair et de Hazel, la petite fille de la maison, « elle n’aimait pas sa chevelure (elle dit ‘son cheveu’, comme les anglais, ndlr), et à chaque séance de coiffure par sa maman de ses cheveux afro, c’était des pleurs pour démêler les nœuds. J’ai eu l’idée d’un peigne adapté, mais je n’ai rien entrepris pendant deux ans, je manquais de confiance en moi ».
S’en suit un cheminement qui la fera passer par un « motive national talk », puis un « coach de vie », et là, elle comprend ses propres blocages, « je sais ce que sont des pensées limitantes maintenant ! » Et tente de trouver son chemin entre une société mahoraise, dont elle reste imprégnée, « qui affiche le mariage comme marqueur de réussite sociale », et la société française occidentale, « qui conserve une relation ambiguë avec la réussite financière, ce n’est pas toujours bien vu. »
Une bourse de 60.000 euros
Au moment où elle se lance, cela fait quelques années que les filles aux cheveux afro décomplexent à fond, c’est le mouvement nappy, traduction francophone de « natural hair movement ». « Auparavant, beaucoup de femmes se défrisaient les cheveux car c’était moins douloureux et moins long à coiffer. Or, à Mayotte, quand les femmes se coiffent entre elles, se sont des moments privilégiés, de complicité, de détente. C’est ce que j’ai voulu retrouver. » Elle a donc l’idée de créer un peigne doté d’un après-shampoing qui lubrifie et se diffuse au fur et à mesure sur la chevelure, et qu’elle nomme Nyfasi, « convivial, bon temps ». A prononcer à l’anglaise, et oui, « naïfasi » !
Youmna Mouhamad commence par créer un prototype, « moche », imprimé en 3D, dont elle dépose le brevet en Angleterre. Et décroche le gros lot, « j’obtiens une bourse de l’académie royale des ingénieurs, octroyée à seulement 15 découvertes chaque année ». 60.000 euros qui lui permettent de lancer une production à petite échelle, « le modèle et la marque Nyfasi Deluxe Detangler sont acceptés en Angleterre ». Premiers tests grandeur nature de ses soins capillaires sur 30 femmes, 70% l’adoptent.
Elle doit désormais passer à la vitesse supérieure, bien supérieure même, puisqu’elle procède actuellement à une levée de fonds pour déposer un brevet à l’international, d’un coût de 30.000 euros, et pour lancer sa production qui nécessite une configuration spéciale pour ce produit inédit, impliquant un fonds de 150.000 euros.
Un avenir rêvé… Parce qu’elle le vaut bien
C’est le domaine de son partenaire, Dhitoimaraini Foundi, financier et fondateur de la société Olive Crowd, spécialisé dans le financement de sociétés non cotées en Bourse. Il est basé à Maurice. « Quand j’ai rencontré Youmna il y a un an, j’ai tout de suite vu le potentiel de son projet. A ce stade, il faut procéder à l’ouverture du capital de cette société valorisée à 1,9 million d’euros », explique-t-il ce jeud lors de la conférence de presse organisée dans le cadre cosy du Samani Concept store à M’gombani.
L’ouverture porte sur 9% du capital, soit 190.000 euros, avec un versement plancher de 100 euros. Les investisseurs doivent se rendre sur le site de crowdfounding Olive Crowd, et de se laisser guider. Les sommes sont libellées en roupies mauriciennes, la conversion est automatique. « Lors de l’inscription sur le site, un mail est envoyé pour donner la marche à suivre. » Il faut éventuellement en fonction de sa banque, passer par le système wise.
Le financier annonce des estimations de retour sur investissement de 8,9%, « et dans deux ans, nous procèderons à une nouvelle levée de fonds ». Ce qui ouvre des perspectives, notamment pour les actionnaires, qui pourront alors opter pour une valorisation de leur part en la revendant, « et il n’est pas impossible qu’un grand groupe comme L’Oréal rachète l’entreprise, avec une mise de 400 millions d’euros », anticipe Dhitoimaraini Foundi. Qui évoque une éventuelle introduction en Bourse.
Le système de crowdfunding impose d’atteindre un montant défini, sans quoi, les sommes sont remboursées aux investisseurs, « il faut parvenir à 80% du montant cible ». Ils n’ont pas l’air de se faire de cheveux blancs, pour avoir reçu des garanties financières sur une bonne partie de l’augmentation de capital. « Et j’ai effectué une prévente, sans opération de marketing, j’ai déjà 170 acheteurs », déclare la jeune cheffe d’entreprise. Qui souhaite que 5% de ses recettes soient allouées à une association caritative.
Anne Perzo-Lafond
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