Pour la deuxième fois cette semaine, les magistrats de Mayotte assistaient à une rentrée solennelle. Peu après celle de la Chambre d’appel de Mamoudzou, c’était désormais à la Cour d’appel de La Réunion – dont dépend la Chambre mahoraise – de procéder à son audience d’installation, en visioconférence. L’occasion d’accueillir de nouveaux magistrats donc, mais aussi de dresser le bilan, y compris pour l’île au lagon. « Le parquet de Mamoudzou est encore, malgré l’arrivée de deux jeunes collègues très récemment, en sous-effectif puisque le poste de vice-procureur n’est toujours pas pourvu, et c’est à se demander s’il le sera un jour», déclare alors Fabienne Atzori, Procureure générale de la Réunion.
« La situation du tribunal de Mamoudzou demeure une source permanente d’attention »
Entrant plus dans le détail, le président de la Cour d’appel de La Réunion Alain Châteauneuf explique qu’« en ce début septembre, la situation des effectifs des magistrats du siège et des fonctionnaires du ressort de la Cour, s’agissant des magistrats du siège peut être qualifiée de favorable. L’ensemble des postes localisés au sein des trois tribunaux judiciaires de la chambre d’appel de Mayotte, et de la Cour d’appel juridiction sont pourvus ». Mais ce, à l’exception notable de « deux postes de vice-président en charge des libertés de la détention au tribunal judiciaire de Mamoudzou».
Évoquant les différents renforts d’effectifs sur les deux îles à l’instar de l’arrivée effective d’un juge des enfants à Mayotte (annoncé par le ministre Éric Dupond-Moretti en mars 2022), le président déclarait tout de même que « pour autant, la situation demeure tendue sur les effectifs ». Et ce, « au regard des besoins et de notre souhait partagé de rendre une justice de meilleure qualité dans des délais raisonnables. Délais qui apparaissent toujours trop longs pour le justiciable confronté à une procédure ». Toujours selon le président de la Cour d’appel, « la situation du tribunal de Mamoudzou demeure une source permanente d’attention, pour les chefs de Cour et le service administratif régional, étant donné le défaut d’attractivité du département de Mayotte, lequel rend les affectations complexes et nécessite de recourir notamment à des magistrats prenant leur première fonction ». Parmi ces primo-magistrats, cinq prêtaient serment au sein de la chambre d’appel en ce début de semaine.
Une attention particulière pour la justice du 101ème département
Historiquement, le recours à la Chambre d’appel n’était à Mayotte que peu fréquent jusqu’à ces dernières années. Face à un nombre d’affaires trop faible, il avait alors été décidé d’installer une Chambre détachée de la Cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion, en lieu et place d’une Cour d’appel de plein exercice sur le sol mahorais. Un état de fait que dénonçait alors le sénateur et avocat Thani Mohamed Soilihi.
Si la question récurrente de transformer la chambre d’appel de Mayotte en véritable Cour d’appel en lieu et place d’une simple annexe de celle de La Réunion semble légitime, elle engendre une interrogation sur les capacités d’indépendance du territoire.
Face aux difficultés de recrutement des effectifs, le soutien appuyé de La Réunion ne représente-il pas une garantie ?
Et si l’on pourrait s’imaginer un désintérêt du système de justice de l’île Bourbon face à son annexe mahoraise, le sujet du 101ème département aura pourtant occupé une place consistante au sein de cette rentrée solennelle. En atteste le président de la Cour d’appel, évoquant longuement « la visite en mars dernier du ministre de la justice », laquelle aura été « été l’occasion d’un certain nombre d’annonces bienvenues visant à favoriser l’arrivée, le séjour à Mayotte et l’affectation ultérieure dans des postes choisis ». Et si celles-ci n’ont pas encore produit leur effet selon le magistrat, des avancées sont à relever : « la question de la sécurité des personnels s’est de surcroît imposée avec force ces derniers mois. Le plan d’aide à la justice de proximité, décliné maintenant depuis plus d’une année, a aussi permis de faire bénéficier les services de greffe de renforts bienvenus et a permis aux juridictions d’investir davantage des champs d’actions jugés prioritaires ».
Pourtant, Alain Châteauneuf reprend : « il n’en demeure pas moins que la situation demeure aussi tendue sur les effectifs de greffe du ressort de la Cour, préoccupant en ce qui concerne le département de Mayotte. Des améliorations réelles constatées en termes de nomination de magistrats, devront impérativement s’accompagner selon moi, de renforts des services de greffe ».
Une tension des effectifs loin d’être inédite puisqu’en février 2021, les magistrats du tribunal judiciaire de Mamoudzou rejoignaient symboliquement le mouvement de protestation national, dotés de leurs propres revendications : « avec une population évaluable, selon une moyenne basse, à environ 300 000 habitants, si la juridiction de Mamoudzou était dotée d’un nombre de magistrats et de fonctionnaires correspondant à la médiane des pays européens, soit de 17,7 juges et 11,25 procureurs, pour 100 000 habitants, le tribunal judiciaire aurait 53 juges au lieu de 17 et 34 parquetiers au lieu de 6 » était il alors énoncé par la porte-parole du syndicat de la magistrature Betty Baroukh.
Redresser la barre
Plus récemment encore et mettant alors en lumière les conditions difficiles de travail et de vie des professionnels de la justice à Mayotte, la tentative de suicide d’un jeune greffier en mars dernier. Parmi les facteurs de son mal-être, l’on évoquait alors les conséquences directes d’un sous-effectif chronique. L’acte symbolique mais sans dénouement dramatique survenait quelques jours à peine avant la visite du garde des Sceaux sur le territoire, lequel n’avait alors pas manqué de faire la cour aux magistrats : « au niveau de l’attractivité, je souhaite que Mayotte devienne un accélérateur de carrière. Cela signifie que les postes de président et de procureur seront désormais en hors hiérarchie, et la direction des greffes sera relevée au niveau directeur fonctionnel. Des contrats de carrière individuelle spécial Mayotte seront établis pour chaque magistrat et chaque fonctionnaire en poste à Mamoudzou. Par ailleurs une mobilité au bout de deux ans sera possible ».
Des annonces rappelées et saluées en cette rentrée solennelle donc, bien qu’il reste encore du chemin à faire pour redresser la barre, en atteste la conclusion d’Alain Châteauneuf : « le comité sur les états généraux de la justice, institué par le chef d’Etat, et présidé par Mr Sauvé a remis ses conclusions en juin dernier et fait part de ses préconisations : nous demeurons dans l’attente de décisions à venir, sur la volonté de l’Etat de doter durablement l’institution judiciaire, service régalien par excellence, de moyens d’accomplir ses missions au service des justiciables en attente de droit ». Face aux exhortations de la Cour, le ministre de la Justice répondra-t-il à l’appel ?
Mathieu Janvier
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