« Cela fait déjà quelques années qu’à Mayotte on tire la sonnette d’alarme sur le nombre de personnes dépistées diabétiques » déclare d’entrée de jeu Hamidouni Sitti Djamalia, déléguée de prévention à la MGEN, à l’aube de la conférence organisée à la MJC de M’Gombani. « Il y a une très mauvaise connaissance de cette maladie, beaucoup de personnes ne se rendent pas compte qu’elles sont malades. C’est grâce aux campagnes qui ont été menées toute l’année qu’on s’aperçoit qu’il y a énormément de personnes malades aujourd’hui ».
La déléguée fait ainsi référence à l’étude “Unono Wa Maore” lancée fin 2018 par Santé publique France en collaboration avec l’ARS Océan Indien. Selon celle-ci, « en 2019, 17,7% des 30-69 ans étaient atteinte de diabète à Mayotte – soit 1 personne sur 6 – et 48% de la même classe d’âge souffraient d’hypertension artérielle – soit 1 personne sur 2. Parmi ces personnes, environ la moitié était malade sans le savoir ». A noter que ces deux maladies, si non traitées, peuvent engendrer de graves conséquences sur la santé (troubles de la vision, AVC, pathologies cardiaques, dysfonctionnement des reins, problèmes de cicatrisation, troubles de la sexualité…).
Un triptyque fatal
Interrogé sur l’origine de la maladie, Youssouf Mohammed, délégué régional de la mutualité de la fonction publique explique qu’il y a « plusieurs facteurs ». Mais plus précisément, « on s’est aperçu qu’il y a un triptyque qui existe entre l’obésité, l’hypertension et le diabète. Très souvent les trois sont liés. C’est pour ça qu’on sensibilise beaucoup sur l’effort physique, il y a un lien direct entre le surpoids et le diabète. D’une manière générale, il y a un lien direct entre l’hygiène de vie et le diabète ». Face à l’ampleur de ces enjeux sanitaires sur le territoire, les professionnels de la santé se mobilisent. Et au cœur de l’action : la sensibilisation.
Présentant plusieurs panneaux de 12/2m réalisés en partenariat avec L’ARS et Rediab Ylang 976, Hamidouni Sitti Djamalia explique que ceux-ci sont des « outils qu’on prête, qu’on met à disposition des associations, des établissements scolaires, justement pour travailler sur la problématique ». L’association Rediab s’apprête d’ailleurs à partager son calendrier d’actions annuelles, incluant de nombreux ateliers de sensibilisation dans différentes communes, ou encore une tournée de dépistage qui débute le 13 septembre prochain. Le camion de l’association se rendre ainsi aux quatre coins de l’île pour proposer des dépistages sur place, gratuits.
Sortez les couverts
Face à la dimension culinaire atypique de l’île, que faut-il alors mettre dans son assiette pour rester en forme ? Youssouf Mohammed explique que « le premier pas c’est d’être sensibilisé, prendre conscience. Une fois qu’on a franchi cette étape, on peut se dire qu’on peut manger la même chose. On peut manger par exemple des bananes, du manioc tous les jours. Mais peut-être qu’on va éviter de les frire, on va plutôt essayer de les manger soit en bouillon, soit avec de l’eau, ce qui évite déjà d’avoir des fritures et donc une matière grasse.
Essayer de privilégier par exemple le poisson, quand on peut, plutôt que la viande rouge. C’est vraiment une sensibilisation au quotidien sur le comment manger, le bien manger ou le mieux manger, et ça passera par revenir peut-être sur des produits qu’on consommait avant et qu’on n’a pas suffisamment mis en valeur comme le mvoungé ou autres brèdes très bénéfiques pour la santé ». Mêlant le geste à la parole, les organisateurs de l’évènement avaient ainsi prévu un buffet composé d’éléments présentés comme « diététiques » mais aussi et surtout « accessibles » : le bien manger à portée de tous. « On a un peu de salade, tomates, crudités, en plat du manioc, des bananes mais bouillies pour éviter la friture, du poulet mais grillé, et du bouillon de banane et manioc avec du poisson. Et en dessert, des fruits locaux. On essaye de rester sur la thématique des produits locaux », explique Youssouf Mohammed.
Des pratiques « traditionnelles » à remettre en question ?
Autre point pertinent à soulever, la question des manzarakas, corne d’abondance des boissons sucrées et autres sodas à profusion… « Avant dans les manzarakas on pouvait voir trois ou quatre cageots de boisson. Maintenant on en voit vingt. Je pense qu’à long terme on va s’apercevoir que les manzarakas sont devenus un facteur de risque, quand on regarde autour de soi, même les gens qui n’achètent pas de boisson, ils les ont à la période des manzarakas. Et maintenant c’est toute l’année… C’est quelque chose qui est quand même à revoir », déclare la déléguée de prévention à la MGEN. Il en va de même pour les voulés, bien que ceux-ci soient plus occasionnels.
Bien sûr, l’accès à des produits sains reste, au-delà de la sensibilisation, une problématique du département et plus généralement des DOM. En juillet 2021, l’ancienne directrice de l’ARS Dominique Voynet déclarait que « la loi Lurel est appliquée, il y a un biais. Dans les Doukas tout un tas de produits ne sont pas autorisés à la vente en Europe, les produits qui arrivent de Dubaï ou en kwassa ne respectent aucune norme et ne sont pas inspectés par les services de l’Etat français. Beaucoup de facteurs se cumulent. Il faut s’attaquer à plusieurs fronts en même temps ».
Quelles avancées depuis ? En décembre 2021, la préfecture, l’ARS la CSSM et le CD faisaient front commun pour annoncer le « programme d’alimentation, activité physique et santé, lequel semblait prometteur bien que déconnecté des expériences déjà menées par le passé sur le sujet. Sans vouloir casser du sucre sur les institutions, rien de bien plus alléchant au menu depuis.
« Une fois qu’on se pose les bonnes questions, on s’aperçoit qu’on est tous concernés et que le sucre est partout, on consomme plus que ce qu’on pense au quotidien », conclut le délégué régional de la mutualité de la fonction publique.
Des paroles de fin quasiment étouffées par le bruit d’un buffet pris d’assaut en quelques secondes par un public ostensiblement affamé. Preuve de plus s’il en faut que la cuisine saine et diététique peut aussi faire le sel de la vie.
Mathieu Janvier
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