L’affaire de la séquestration du gardien de Transit Mahorais en janvier 2019 lors d’un cambriolage a frôlé les Assises, si la circonstance aggravante de bande organisée avait été retenue. Sollicités par le parquet, les 5 individus à la barre ont convenus se connaître, mais pas avoir préparé le coup ensemble. Les coups plutôt, puisque 5 faits étaient reprochés à cette bande dont l’objectif était de se ravitailler gratuitement en cartouches de cigarettes pour ensuite les revendre. Là aussi, le caractère de filière organisée n’a pu être prouvé.
Un nom et un caractère sortent du lot, ceux de Hibou. S’il nie à plusieurs reprises être le chef, sa réaction ne laisse aucun doute, « madame, vous trouvez qu’ils ont l’air handicapés au point d’avoir besoin que je les dirige ?! », s’adresse-t-il à la présidente de l’audience collégiale Chantal Combo. Sa déférence frise en permanence l’insolence, il joue à la perfection le rôle qu’il s’est donné, celui d’un feuilleton télévisé comme il le dira plus tard.
Les premiers vols de cartouches de cigarette commencent en avril 2018 à la station Total de Dzoumogne, Hibou est déjà là, il est en état de récidive. Puis en juillet 2018, c’est à l’entrepôt de Transit Mahorais à Longoni qu’au moins deux d’entre eux s’attaquent, découpant la tôle, et emportant 16 cartons de 25 cartouches de cigarettes. Une bonne pioche qui les incitera à réitérer en groupe, en janvier 2019, et février 2019, plus de 160 cartons sont dérobés au total, toujours dans la même entreprise.
« Si tu cries une troisième fois, on te tue ! »
Pourtant, en janvier, ça s’était mal passé. Un gardien avait été recruté, d’ailleurs lui-même pris la main dans le sac, et condamné pour ça. Il se retrouve alors face à des cambrioleurs qui se changent en agresseurs. M. est à la barre et raconte. « J’ai entendu du bruit, et l’alarme s’est déclenchée. Je suis sorti, trois personnes sont face à moi, je crie, je me retourne, d’autres sont derrière, et me lancent, ‘si tu cries une troisième fois, on te tue !’ Donc je n’ai plus rien dit, ils m’ont enlevé mon tee-shirt, m’ont bâillonné, et attaché les chaussures avec les lacets. » Il restera plusieurs heures ainsi, « le sang ne circulait plus », mais parvient à sortir les pieds de ses chaussures, et s’enfuit par le trou pratiqué dans le grillage par ses agresseurs. Il donne l’alerte par l’intermédiaire des gardiens du voisinage.
Bien que cagoulés, les individus armés de barres de fer sont identifiés par le système de vidéosurveillance, par l’analyse des fadettes (factures détaillées de téléphone), et par la géolocalisation des téléphones. Ils reconnaissent tous les faits, mais sont plus vague sur ce qui peut lourdement les condamner, la participation au ligotage du gardien.
Lorsque Hibou signalait qu’il revendait le carton de 25 cartouches pour 1.250 euros « à des revendeurs à la barge », la juge sortait sa calculette, « donc vous avez engrangé 200.000 euros de bénéfices ! » De recettes nettes même, et pour en faire ?… Elle obtiendra une réponse sur le même ton supérieur que le reste, « Madame, j’ai des frais, des vêtements et des cartables pour les enfants, un loyer de 400 euros, des factures d’eau et d’électricité, et le reste est parti aux Comores, notamment pour acheter un terrain. » Il distribuera une toute petite partie des fonds à ses comparses, à coup de 2.000 euros et d’octroi de faux papiers.
« On n’est pas les pires à Mayotte »
Et lorsque Chantal Combo tente de lui faire prendre conscience de ses actions, c’est une réponse inhabituelle qui l’attend : « Madame la juge, à Majikavo, on a 8 chaînes de télé, dont France 24. Je peux vous dire qu’on n’est pas les pires à Mayotte, il y en a qui volent pour un million. »
Pascal Fossey, gérant de la société Transit mahorais, est là par hasard, « je suis venu soutenir un ami, et j’apprends que je dois venir à la barre ! ». Tout en chiffrant le préjudice à 300.000 euros, il s’interroge, « les cigarettes sont stockés dans un lieu à part, qui leur a dit qu’elles étaient là ? »
Son avocat Mansour Kamardine s’appesantira sur le profil des prévenus, tous nés aux Comores sauf un, A.M. né à Bandraboua, mais néanmoins en situation irrégulière car n’ayant pas effectué de démarche pour régulariser sa situation. « Pourquoi êtes-vous venus à Mayotte ? », interpelle celui qui n’a pas sa casquette de député, mais repris aussitôt par Hibou d’une voix forte, « monsieur Mansour Kamardine l’avocat, ce n’est pas une tribune politique ici. » Un de ses comparses répondra, « pour avoir une vie meilleure ». L’avocat lui fera remarquer que « ce n’est pas en attaquant les entreprises et les gens, qu’on a une meilleure vie. L’un de vous travaille dans une boulangerie, et si on la cambriolait ?! » La juge embrayait en prenant le soin de s’adresser à eux, « il y a plein d’étrangers à Mayotte, et tous ne commettent pas de délits heureusement. »
L’audience, n’est pas un retour à la réalité pour tout le monde
Des échanges qui soulèvent la question des vertus pédagogiques de l’audience. Car on le voit, Hibou est un habitué des prétoires, et apostrophe un avocat qu’il reconnaît, comme on le ferait dans un café. Il n’aura pas été remis à sa place, et bien qu’ayant écopé d’une nouvelle condamnation qui le maintient en prison, il aura fait son show, celui d’un acteur de feuilleton qu’il suit à la télé. Pour preuve, quand on lui demande ce qui se serait passé si le gardien avait crié une nouvelle fois, il rétorque, « ceux qui veulent tuer le président doivent d’abord tuer son gardien. » Son expertise psychiatrique n’a rien donné, « pas de problème de discernement », lira la juge.
La substitut du procureur Cassandre Morvan soulignait qu’on était à la limite de la Cour d’Assises et qu’avec 300.000 euros de préjudice, « on n’est pas dans la délinquance de subsistance mais pour s’enrichir. » Elle demandait 6 ans de prison pour le meneur et 4 ans pour les autres. Deux acteurs sont absents, voir trois, une des identités recouvrant possiblement deux personnes.
En collégialité, les juges auront pris en compte le différentiel de potentiel entre le chef et ses voisins de barre, dont l’un a des enfants handicapés et travaille dans une boulangerie, fera valoir Me Konde, et l’autre n’aurait fait que conduire la voiture transportant les cartouches, « il a fait le mauvais choix », défendra son avocate Me Gibello-Autran.
Hibou retrouvera les menottes qu’il avait à l’arrivée, puisque condamné à 4 ans et 6 mois avec mandat de dépôt, quant aux autres, c’est 2 ans et 6 mois qui sont retenus contre eux, sans mandat de dépôt, ayant déjà quasiment purgé cette peine. L’un des absents sera condamné à la même peine mais avec mandat de dépôt.
Les parties civiles voient leurs intérêts reconnus. Le gardien devra être dédommagé de 3.000 euros, quant à Transit Mahorais, cela se plaidera le 1er décembre.
Anne Perzo-Lafond
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