« Le constat déjà réalisé en 2020 est largement le même en 2022, voire même augmenté ». Les propos introductifs du premier adjoint au maire de Mamoudzou, Dhinouraine M’Colo Mainty, trouvent une résonance directe dans le titre retenu pour ce Comité de suivi des Assises de la sécurité et de la citoyenneté : « Lutter contre les violences du passage à l’acte pour éviter qu’elles ne s’imposent comme étant la norme ».
Un contexte de « déjà-vu »
La genèse de ces Assises remontent à 2020, lorsque le premier édile de Mamoudzou avait jugé pertinent, au regard du contexte d’insécurité, de prendre les devants en réunissant les acteurs publics pour parler sécurité. Une victoire en soit pour les observateurs d’alors, cette initiative ayant été perçue à cette époque comme « une prise de conscience des élites ». Deux ans plus tard, les raisons conduisant à la tenue de ce Comité de suivi laissent une étrange impression de « déjà-vu » ; les épisodes de violences ayant entaché les précédentes semaines conduisant à l’opération journée « île morte », ont amené Ambdilwahedou Soumaila à vouloir donner suite aux rencontres de novembre 2020.
Ne pas « lâcher du terrain aux voyous »,
Certes, si depuis deux ans une « diminution du nombre de cambriolages et de vols crapuleux » est observée selon les dires du préfet, le phénomène de violences et de caillassage a pris des proportions nouvelles. Un constat qui conduit Thierry Suquet à faire part de « trois convictions fortes de l’Etat », à savoir que la sécurité est un « continuum » s’appuyant, entre autres, sur la prévention et l’éducation, et ne pouvant faire l’économie du renforcement des partenariats « entre les organismes de prévention, la police nationale, la police municipale et la gendarmerie » ; cette coopération permet en effet de cibler « quartier par quartier village par village et commune par commune », les zones sensibles. Enfin, la nécessité de ne pas « lâcher du terrain aux voyous », dans la mesure où la lutte « s’inscrit dans un combat des pouvoirs publics pour tenir le terrain » face aux délinquants.
Selon le préfet, les récents troubles à l’ordre public à Bandrélé, suite à une opération de décasages, et à Vahibé en raison de l’intervention d’EDM pour supprimer des raccordements illégaux, ne doivent pas empêcher la mise sous pression des délinquants par les acteurs publics. Ainsi, toute fermeture d’école ou tout arrêt du transport scolaire sont autant de réactions donnant raison aux délinquants. Il a tenu à rappeler à ce titre que « le droit de retrait » des conducteurs de bus doit « rester ponctuel ».
Des propos qui n’ont pas manqué de faire réagir la dizaine de chauffeurs venus s’exprimer « sur ce qui se passe réellement sur le terrain ». L’angoisse, la peur, la crainte, un triptyque obscur qui ne les lâche pas, à tel point que certains en ont la gorge nouée, rendant difficile leur témoignage. Ces ressentis seront pragmatiquement synthétisés par les chiffres du directeur sûreté de Transdev : sur le « premier mois de cette rentrée scolaire », en comparaison à l’année dernière, « une hausse de 78 % des incidents est constatée sur l’ensemble du réseau et plus de 200 % à Mamoudzou ».
Des prises de paroles sans tabou
Des représentants de la société civile, parents d’élèves et associations, n’ont pas mâché leurs mots pour dépeindre leur ressenti. La teneur des prises de paroles révèlent l’exaspération ainsi que la peur s’instillant petit à petit dans la société : « nous sommes dans une guerre civile », « la population va vouloir se défendre contre ces violences », « l’on va se battre contre ces gens qui ne sont pas des délinquants mais des criminels ».
Cette réalité semblant se construire en parallèle de celle dépeinte par la présentation Powerpoint projetée dans la salle. Si la couleur verte prédomine à côté de la multitude des actions de suivi menées sur la dizaine de thématiques découlant des Assises – « conforter la présence et les moyens des forces de l’ordre », « développer la médiation et la participation citoyenne pour la sécurité » ou encore « assurer une éducation pour tous et mettre en place des politiques prioritaires pour la jeunesse » – sur le terrain, « tous les signaux sont au rouge y compris dans la tête de nos enfants », s’alarment Zouhourya Mouayad Ben, 4e vice-présidente du Conseil départemental.
Des avancées et de nombreuses interrogations
Cette présentation par ces dits et non-dits aura eu le mérite de nourrir les réactions. Alors qu’il y a deux ans de cela, le recteur pointait l’oubli « des langues régionales » en tant que « lien vers l’apprentissage du français », sa prise de parole en cette matinée a salué les actions réalisées dans le domaine du plurilinguisme exhortant, toutefois, à « aller plus loin ». Il en est de même pour la prise en considération des parents associés à la politique éducative. Gilles Halbout est revenu sur la nécessité de la construction d’établissements scolaires et ne s’est pas caché de « l’absurdité » du système des écoles en rotation ; on ne peut pas « s’en satisfaire ».
S’engouffrant dans la brèche de l’éducation, le sénateur Abdallah Hassani a insisté sur le fait que « les problèmes structurels dans tous les domaines sont amplifiés par l’arrivée massive de nos voisins mais aussi de ceux venant de plus loin ». Sur la question de la coopération avec les Comores, le parlementaire est revenu sur l’aide de 150 millions d’euros de la France aux Comores avec laquelle, selon lui, « rien n’a été fait » pointant la responsabilité de l’administration comorienne. Le préfet aura pour sa part une lecture « pas autant déficitaire » de cette coopération avec les Comores compte tenu du travail de concert avec la France dans la lutte contre les départs de kwassas. Quant à la collaboratrice de la députée Estelle Youssouffa, elle regrettera l’absence du procureur de la République.
L’imagination de l’action publique comme dernier rempart
Néanmoins, alors que le premier édile du chef-lieu, en visio-conférence, a appelé « à innover face à la situation », Thierry Suquet a assuré son « accompagnement dans les démarches des mairies pour innover dans les pratiques de décasages ». Des propos faisant références aux récentes déclarations du président de la République demandant à ce que la situation à Mayotte soit traitée à part. Une singularité comme dernier rempart face au coup de boutoir de l’insécurité. Si le point de rupture n’est pour l’heure pas entièrement consommé, Ambdilwahedou Soumaila, en conclusion de ce comité de suivi, a exhorté à tenir, « il en va de l’avenir de notre île et de nos enfants ».
Pierre Mouysset
Comments are closed.