L’association Fikira a organisé pendant deux jours un colloque sur l’adolescence à Mayotte. Filiation, identité, migration, transculturalité, transmission… deux jours de présentations et d’échanges denses, qui seront publiés dans quelques semaines.
Qu’ils soient professionnels de la santé, du médico-social, du social, de la justice, de l’éducation… tous les participants au 2e colloque de l’association Fikira étaient unanimes pour pousser un «ouf» de soulagement et de satisfaction. Pendant deux jours, ils avaient la possibilité de s’extraire de leur quotidien pour réfléchir et échanger sur un thème essentiel dans notre département: «Etre adolescent à Mayotte, quelle histoire, quels avenirs ?»
Comme il y a 2 ans avec le colloque «santé et précarité», l’association Fikira* veut «apporter une matière à penser» et donner la «nourriture intellectuelle» à ceux qui y participent. Pour Clémence Fadda, «parler de l’adolescent, c’est aussi parler de l’enfant qui grandit et de l’adulte qu’il va devenir», c’est donc approcher de nombreux aspects de la société mahoraise.
Des ados en demande de perspectives
Evoquer les adolescents de Mayotte, cela renvoie d’abord à la mutation formidable que connaît la société mahoraise : «On a affaire aux premières générations adolescentes à Mayotte», souligne Nicolas Roinsard, sociologue et maître de conférence à Clermont-Ferrand. Pour être adolescent, il faut en effet vivre dans une société d’individus où on n’est pas uniquement membre d’un groupe, ce qui était une des caractéristiques de la société mahoraise traditionnelle. A Mayotte, on était enfant puis directement adulte au moment du mariage.
Et en regardant ces «premiers» adolescents, le sociologue voit une jeunesse à deux vitesses : d’un côté, ceux pour qui toute projection dans l’avenir est impossible face aux obstacles administratifs et à la discrimination sociale, et ceux qui ont grandi avec l’espoir de la départementalisation porté par leurs parents.
Et s’il y a une «radicalisation de la jeunesse mahoraise», elle reste avant tout en demande de perspectives, comme si les dérives étaient la seule réponse possible à un blocage dans le présent. Le sociologue résume sa pensée avec une expression : «pour lutter contre l’insécurité civile, il faut mettre de la sécurité sociale».
Une médiation culturelle
Pour accompagner certains adolescents en rupture, les professionnels sont parfois démunis. Et c’est à eux que s’adressait le premier intervenant du colloque, le docteur Saïd Ibrahim. Ce pédopsychiatre a créé à Marseille une «médiation médico-clinique» où il renverse les approches traditionnelles : «Le problème ce n’est pas toujours l’autre mais ça peut être nous, en tant que professionnels, médecins, travailleurs sociaux ou magistrats, qui n’arrivons pas à accompagner un adolescent et sa famille», explique-t-il.
Lui, a choisi de se détacher des adolescents et de familles en souffrance pour faire appel à des personnes totalement extérieures. «Interroger des ‘témoins’ permet de revenir aux fondements de la culture», «aux mythes, aux rites, aux ancêtres», tout ce qui a aussi contribuer à construire la personnalité «pour pouvoir interroger ce qui se passe aujourd’hui».
Actuellement, la consultation du Dr Ibrahim fait appel à quelque 150 témoins du monde, Bretons, Alsaciens comme Mahorais. Lui-même est originaire de Mayotte et avec ce colloque, il parlait pour la première fois de son travail dans sa terre natale. Il devrait rapidement renouveler l’expérience, il a en effet prévu de revenir en début d’année prochaine pour échanger avec les nombreux professionnels qui se sont montrés grandement intéressés par son approche.
Une pensée dans le positif
Autre sujet incontournable lorsque l’on évoque les adolescents, les mineurs étrangers isolés que le colloque a choisi d’aborder sous plusieurs angles dont celui du docteur Agathe Benoît, pédopsychiatre à la maison des adolescents de Bobigny. Il y a 4 ans, elle a ouvert une consultation dédiée aux adolescents étrangers isolés à l’hôpital Avicenne (93). En métropole, on estime à 9.000 le nombre de mineurs isolés et à 800 en Seine-Saint-Denis, à l’est de Paris. «Dans le regard extérieur, ils sont d’avantage considérés comme des étrangers que comme des enfants à protéger»… un discours qui fait écho à la situation mahoraise.
A Mayotte, il n’existe pas de consultation spécifique pour les adolescents malgré les traumatismes multiples que ces enfants subissent avant même leur arrivée en kwassa à Mayotte. Et si l’ensemble de ce travail de réflexion mené pendant 2 jours ne va pas modifier immédiatement les pratiques et les approches des uns et des autres, il «apporte une matière en pensée dans le positif pour pouvoir imaginer de nouveaux dispositifs» pour notre département, souligne Clémence Fadda.
Pour que cette matière soit utile et puisse se transmettre durablement, les actes du colloque seront publiés début 2015 et ils seront également accessibles sur le site de l’association.
RR
Le Journal de Mayotte
*Fikira est une association qui a pour objectif de créer du lien entre les professionnels de la santé mentale, du médico-social et les chercheurs à Mayotte et dans les îles de l’océan Indien, pour favoriser le travail pluridisciplinaire et développer les activités de recherche en sciences humaines à Mayotte.
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