Ils avaient en 2014 fait « la une » de médias nationaux : deux infirmiers libéraux, un homme et une femme, accusés d’avoir escroqué la Sécurité sociale, étaient jugés ce mercredi au tribunal correctionnel de Mamoudzou. Une audience agitée…
On leur reproche des abus de 129 000 pour l’une et 180 000 euros pour l’autre. L’affaire avait été signalée en 2013 par la Caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM) qui avait jugé les montants reversés aux infirmiers exagérés, « des revenus 7 fois supérieurs à la moyenne ». L’enquête qui suivait le dépôt de plainte faisait ressortir quatre griefs : des falsifications d’ordonnances, une facturation majorée en heures de nuit indues, des frais de déplacement surestimés et le non-respect de cotation des actes.
Après avoir énoncé des faits, le juge Rieux qui présidait l’audience en collégialité, laissait la parole à Me Fatima Ousseni, avocate de la défense, qui plaidait la nullité pendant prés de 1h40…
Des « Usain Bolt » du soin
Ce fut une charge contre le ministère public essentiellement, que l’avocate accusait d’enquête à charge, d’absence de procès verbal joint à la convocation, de « déloyauté patente » pour avoir saisi la maison, le compte bancaire, la voiture de ses clients « alors qu’une trentaine d’autres infirmiers sont également en difficulté avec la CSSM » et pour avoir produit unilatéralement un référentiel aux actes infirmiers.
L’avocate invitait le président Rieux à tenir compte de ses demandes en créant un droit nouveau, « le principe de loyauté ». C’est le procureur lui-même qui répondra point par point, en remarquant que les aspects de procédure n’avaient pas été évoqués au long de cette plaidoirie, « qui m’a été transmise la veille au soir», et qui annonçait que deux autres infirmiers comparaîtront également dans quelques mois.
Quant au référentiel régional, c’est son large dépassement par les infirmiers qui a alerté la Sécurité sociale. Ce qui incitait Me Ousseni à tirer un parallèle hasardeux : « un peu comme Usain Bolt quand il a battu le record du monde de 100 mètres ! » « Ben Jonhson aussi, mais il était dopé ! », rétorquait le procureur.
C’est plutôt dans une course de fond que s’engageaient juges et avocats ce mercredi pour un procès qui dépassara finalement les 9 heures.
Quand le client revêt la robe de l’avocat
Une audience émaillée de divers incidents, avec une tentative avortée de prise parole de Me Ousseni, son aparté avec la greffière, et surtout, les échanges virils et hauts en décibels entre le procureur et l’un des infirmiers.
Les ordonnances dont les dates étaient raturées étaient alors en discussion : A.H. ne se l’explique pas puisqu’il en laisse la gestion au Centre d’Affaire, « et pourquoi l’aurais-je fait, ce sont des patients diabétique, que je soigne quotidiennement et qui me sont fidèles ! » Pour Joël Garrigue, il y a bien falsification puisque le médecin nie les avoir raturées , il élève la voix « sans changer la date, vous n’auriez pas été remboursé ! Il s’agit de l’argent public ». A.H. s’emporte : « votre enquête à charge n’a pu qu’effrayer le médecin. Tous ces actes médicaux ont été effectués. Je me lève à 4 heures du matin pour être sur le terrain, je ne reste pas assis derrière une feuille toute la journée moi ! »
Le silence retombe dans la salle d’audience, nous ne sommes à l’évidence pas en présence de Bonnie and Clyde.
Les autres chefs d’accusation sont tout aussi débattus. Telle que la majoration de nuit. La notion est floue : les patients diabétiques doivent pour la plupart recevoir deux injections quotidiennes, distantes de 12 heures. Ce qui implique d’en effectuer une en horaire de nuit, soit avant 8h du matin soit après 20h.
En 2012, la CSSM demande pour les cas non graves, de réduire cet intervalle, et de ne plus facturer en horaire de nuit. « Nous n’avons eu aucun texte sur ce sujet », assure A.H. qui invoque une mésentente entre le corps médical et la Sécurité sociale sur ce sujet. Le procureur et la partie civile feront savoir que l’information avait malgré tout été largement diffusée auprès des professionnels.
Le dépassement kilométrique, compté « par erreur » depuis un ancien logement ou la cotation d’actes facturés alors que le patient était à l’hôpital, ajoutés aux autres charges incitaient la partie civile à poursuivre, et Me Kamardine, avocat de la caisse, demandait la restitution des sommes dues à la CSSM.
Le procureur relevait le détournement d’argent public, la multiplicité de manœuvres frauduleuses « comme la facturation anormale de prises de tension » et demandait pour chacun 1 an de prison avec sursis, avec conservation des saisies des biens personnels à hauteur du préjudice de la Caisse.
Une audience particulière, où les enjeux étaient élevés, tant pour la valeur d’exemple d’une profession qui a déjà été condamnée pour abus dans le passé, que pour les deux infirmiers qui espèrent pouvoir continuer à exercer. A.H. finira d’ailleurs très ému, en pleurs à la barre, en expliquant ne pas être un voyou.
L’affaire est mise en délibéré le 18 mars.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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